mardi 24 février 2009

Berger de sept lieues

L’autre soir, à « la grande librairie », un homme crevait l’écran : John Berger, avec sa gueule de pâtre savoyard, aux yeux d’eau de roche. Notre Berger est, en fait, Anglais mais partage ses vies entre Paris, la Haute-Savoie et beaucoup de pays, plutôt en souffrance, comme récemment la Cisjordanie. Car ce Monsieur né en 1926 à Londres est un citoyen engagé du monde, aux multiples combats livrés dans l’écriture. Son dernier livre, titré « de A à X », prend la forme de lettres qu’une femme adresse à son amant, condamné et emprisonné pour actes de terrorisme, dans un pays autoritaire matant toute rébellion politique.
« Un livre, pour moi,-dit-il dans un récent interview dans Télérama-, ne commence ni avec une idée ni avec un personnage. Mais avec la prise de conscience qu’un silence demande à être rempli. Dans le cas de ce livre, le silence en question, c’est peut-être celui qui entoure la vie personnelle, intime, affective, secrète, des milliers ou millions de gens que, partout dans le monde, on appelle des terroristes ». Des terroristes comme nos pâtres Français buveurs de lait des Mille vaches, ayant eu le tort de trop regarder passer les trains ou ce journaliste Irakien, actuellement jugé, lanceur de pompes sur le funèbre va-t-en-guerre viré par Obama.
L’autre soir, justement, notre écrivain de cuir, John Berger a utilisé un symbole identique pour mieux résumer son livre. Sortie de dessous sa chaise, il a longuement montré à la caméra une chaussure de sport usagée, comme celle portée chez lui par l’amant de son livre avant son emprisonnement. Une basket, retournée sous toutes les coutures de sa vie, caressée à plein d’occasions par les yeux de l’amante, pour dire toute l’horreur de la séparation, l’insupportable arrachement rappelé, sans cesse, par ces choses de l’existence qui sont le tissu du corps aimé dont on ignore le moment de retour, de recollement. Voilà comment un grand écrivain de sept lieues nous aide à chausser les bottes de la résistance.

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