mercredi 29 avril 2009

Sur les toits courbés


Carapacée d'antennes
La bête est entrée
Arracher nos yeux
Dans la nuit criarde

Sur les toits courbés
Un dernier livre bat
Ramasse nos ailes
Dans sa noire beauté.

dimanche 26 avril 2009

Contre les porteurs d'oeillères

A la veille des Européennes, Sarko et ses apôtres nous retouillent leurs soupes refroidies et populistes, ressortent leurs loqueteux épouvantails à vieilles pies : immigration et sécurité.
Ainsi, à la veille de son raout médiatique à Calais, Judas a fait karchérisé le welcome, faisant interpellés 194 malheureux migrants, tous relâchés par la suite. Dans la foulée notre zélé a promis la fin de la jungle. Visait-il ainsi les criminels de la crise et ceux qui font migrer les milliards vers les paradis fiscaux ? Nenni, la « jungle », c’est ainsi qu’on surnomme les baraquements et toiles improvisés où tentent de survivre les candidats à un eldorado britannique dont ils ignorent, pour la plupart, la terrible décrépitude.
Ainsi, Fillon a promis sur les ondes de poursuivre tout les Continental ou autres Caterpillar de France et de Navarre tentés de défendre leur peau de manière un peu trop radicale, oubliant au passage les propos pré-électoraux de son maitre du 3 avril 2007 à Lorient : « Chez les marins…quand on a recours à la violence, ce n’est pas pour se distraire, ce n’est pas pour nuire à autrui, c’est parce qu’on est profondément désespéré, c’est parce qu’on n’a plus de recours et qu’on se sent condamné à la mort économique et sociale…je veux le dire ici, aucune violence n’est acceptable, mais je ne mets pas, et ne mettrai jamais sur le même plan la colère des pêcheurs qui ne veulent pas mourir et la violence gratuite des fraudeurs et des voyous. »
Ainsi, faute d’être un pauvre pêcheur, un jeune homme de 26 ans vient d’être condamné le 21 avril à St-Nazaire à six mois de prison ferme pour avoir, à la fin de la manifestation du 19 mars dernier, joué un peu trop vivement aux pavés avec les forces de l’ordre établi.
Ainsi, MAM Concocte, pour contenir la soupape, deux décrets organisant la rafle des jeunes en bande et la chasse aux encagoulés et autres porteurs de foulards des fins de manif.

Flatter le reflexe sécuritaire est toujours électoralement payant, mais ces moulinets médiatiques, cette aggravation de l’arsenal répressif, ne traduisent-ils pas la peur exprimée le 19 avril par D de Villepin : « oui, il y a un risque révolutionnaire en France » et ne visent-ils pas, en réalité, à refroidir le chaudron à quelques jours d’un mai toujours symbolique.
Mais où sont les mesures attendues depuis des années pour revitaliser les banlieues et susceptibles de répondre à l’exclusion de ces jeunes qui trouvent leur survie dans l’abri des bandes ?
Mais, au-delà des discours, où sont les mesures pour répondre à la véritable insécurité de la vie sociale, l’insécurité du travail, l’insécurité du lendemain pour des millions de famille ? Sur l’échelle des violences incriminées, casse d’une sous-préfecture ou séquestration, où cocher le drame, la mise à mort personnelle et sociale que représente le fait d’être lourdé de son entreprise ? Quand, dans le même temps, les responsables de la crise continuent de se payer grassement. Quand, dans le même temps, la défense de l’inégalité, comme à travers le bouclier fiscal, reste inscrite dans les gènes de nos bling-bling.
Mais au-delà des effets d’annonce, où sont les mesures d’ampleur susceptibles de réparer la fracture avec la jeunesse prise massivement dans l’étau de la crise ? 1,3 milliards d’euros sur la table des patrons quand les banquiers en avaient reçus 40 à l’automne. Sauf qu’aujourd’hui, le taux de chômage chez les jeunes représente 23%. Sauf que jusqu’à 25 ans, privés de toute aide de l’état, ils sont livrés à la débrouille et la survie ou l’aumône parentale. Sauf qu’ils sont les victimes d’un véritable bizutage social et racket du marché du travail, à travers, particulièrement, les stages qui sont passés en peu de mois de 800000 à 1200000. Sauf qu’ils sont livrés à un terrible parcours du combattant, stage, cdd, chômage, formation, cdd, chômage, faute de pouvoir répondre souvent à une exigence d’expérience scandaleusement exigée par ces employeurs qui justement précarisent leur emploi.
C’est à cette insécurité de la jeunesse, à cette intolérable violence qui lui est faite, à sa séquestration dans le précaire, à sa véritable casse d’avenir que Sarko et ses sinistres devraient répondre, au lieu de chercher, à travers la stigmatisation des victimes d’un système qu’ils on toujours défendu, la protection de leurs intérêts.
Au lieu d’un décret contre les cagoules nous avons d’urgence besoin d’un décret contre les œillères.

vendredi 24 avril 2009

Les Vénus potagères

Quand on suit un artiste depuis des années, parce qu’on aime l’homme et son travail, on reçoit avec emballement l’arrivée d’un nouveau carton de vernissage, premier ticket d’un nouvel embarquement sur les voies de l’émotion. Antoine Tiberghien, le peintre de la matière, de la peinture épidermique et sédimentaire, aux camaïeux très musicaux, accroche, cette fois, des collages-frottages : « Les Vénus potagères ».
Alors on pense à des blondes paresseuses, des brunes juteuses. On rêve à des rousses au cœur d’artichaut .On imagine des seins en poire, en pomme d’arrosoir. On voit des beautés nues pour faire rougir les tomates. Bref on cultive le doux terreau de l’imaginaire, on égraine les petits grains de peau.
Mais on déraille peut-être. Car notre ami peintre a planté ses belles jardinières dans le halètement des gares. Alors par la vitre tremblante, on suit, un temps, des vénus de barrière, des madones de sleeping, soignant leur jardin cheminot entre deux liaisons ferroviaires, nous emmenant, sur leur chemin de chair, dans leurs enjambements amoureux.
Peu importe, il reste juste à composter cette invitation au voyage.
Premier arrêt les 25 et 26 avril 2009 « Le temps d’un regard », salle de la martelle au Poiré-Sur-Vie.

jeudi 23 avril 2009

Au large du temps

Au large du temps
Le regard voyage dans le coeur
A la rencontre de ce pays
Où on arrive accordés
Au galop des marées
L'amour sur nos peaux
couchant ses soleils rouges
Dans le sablier des étoiles.

mardi 21 avril 2009

Sonner de l'olifant


Comme je le supputais, d’aucuns vertement me moquent pour n’avoir pas pipé mots, à propos de pipe, de celle dont on fait les plus mâles extases. « Faire une pipe », en fait, trouve sa source dans la confection de la cigarette, par les petites vertus du XIXème, avec du tabac à rouler et du papier fin à lécher. La « démocratisation » de la pratique a fait passer la langue de « faire » à « tailler » sans raison vérifiée. Taillable et corvéable ?
Retenons que la petite gâterie a beaucoup excité les imaginations comme celle de Frédéric Dard alias San Antonio la traduisant par entre autres : babiner le bolet, décapsuler le lutin folâtre, étancher le bigorneau, arracher le copeau, sonner de l’olifant…Alors l’affaire Tati va peut-être concourir à l’enrichissement de ces savoureuses expressions. Un nouveau questionnement demain va peut-être surgir : « Dis papa, c’est quoi faire un moulinet jaune ? »
Ainsi au hasard de ma dernière navigation sur la toile je viens de découvrir " le bateau ivre". Ce que je connaissais comme le plus beau poème de Rimbaud s’avère être aussi le nom d’une position amoureuse. Chorégraphie chaloupée baignant peut-être dans ces vers :
« Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d’astres, et lactescent
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !...

dimanche 19 avril 2009

Censurer tue grave


Toujours au charbon et aux fourneaux, les brûleurs anti-tabac viennent, cette fois de franchir le Rubicon. Ainsi sur l’affiche annonçant l’exposition Jacques Tati à la Cinémathèque, ils ont troqué la célèbre pipe de Mr Hulot sur son solex pour un…moulinet jaune. Censure imbécile de têtes de pipe qui, à la fois, dénature le personnage et atteint la personnalité du créateur. Imaginons un instant Chaplin privé de sa canne ou Laurel de son Hardy.
Ce qui fait peur dans cette histoire d 'enfumés de la tabatière, c’est de constater encore un peu plus que la bêtise n’a pas de limite.
Imaginons demain dans la lippe de Brassens une marguerite à la place de l’écumeuse bouffarde :
« Je suis un pauvre type
J’aurai plus de joie
J’ai jeté ma pipe
Ma vieille pipe en bois
… »
Dans les lèvres de Rimbaud (voir dessin dans le dernier Télérama) une plume à la place de la vraie pipe en terre de Givet de la maison Gambier :
« Je vis assis, tel un ange aux mains d’un barbier
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures
… »
Ou entre les mots de paix de Géronimo un morceau de flèche à la place du calumet.

En 1929, Magritte avait peint un tableau représentant une pipe légendée : « Ceci n’est pas une pipe », voulant ainsi souligner la différence entre l’objet réel et sa représentation même la plus réaliste. De même que le mot « chien » ne mord pas comme le disait William James, on ne peut pas bourrer la pipe en image.

En 2009, les mordus de l’anti-tabac, en voulant piper les dés de L’Histoire cinématographique, ont rendu, du coup, bien plus visible l’objet de leur culot, le brûle-gueule de Mon Oncle.
Jérôme Deschamps rapporte, qu’au moment de casser sa pipe, les derniers mots de Jacques Tati auraient été : « J’ai l’impression qu’il y a une histoire d’amour entre la femme de salle et le grand noir qui fait le ménage. »
Notre facteur de génie pensait peut-être, à ce moment, à un prochain scénario, une nouvelle histoire d’amour entre lui et les spectateurs qui se fendraient bien la pipe.

vendredi 17 avril 2009

Sous le toit soulevé

Sous le toit soulevé
Le jour ne chante plus
Sur le petit brûleur
Le temps écorche
La vie à grosses fleurs
Qui collait corps et murs.

mardi 14 avril 2009

Sous le ciel pleureur

La chambre frisonne
sous le ciel pleureur
Satie fait des trous
dans le grain des peaux.

dimanche 12 avril 2009

Grain de blues

Des Pâques, des Pâques oui mais des Panzani

A Pâques, Rome branle le monde. Benoît télévisionne, urbite et orbite, transforme le vin en eau, multiplie les cloches.
A Pâques, derrière celui qui marche sur les os, beaucoup de cathos marchent sur des œufs.
A Pâques, le chocolatier fait son glas, c’est la fève de l’or. Les jardins bourdonnent, le bourdon bombille, la fée clochette, les parents cherchent les enfants dans les arbres.
A Pâques, les amoureux fondent et les vaches clarinent en regardant passer l’étreinte.
A Pâques, c’est la fin du djeune, les seins sont au balcon et les mains au tison.
A Pâques, la grosse cloche sonne dans chaque homme.
A Pâques, les assiettes tintent et l’ouaille est un loup pour l’agneau.
A Pâques, le « nombril du monde » reste l’Ile de Pâques.
A Pâques, Rome branle le monde. L’amour tintinnabule.

vendredi 10 avril 2009

La naissance des feuilles

Quittant le bateau-livre, en fin d’après-midi, j’ignore quel fil de pensée a étiré notre flânerie vers les allées du Parc Floral, ce large poumon près du lac de Bordeaux.
Dans quelques semaines on se promènera dans un tableau. En ce début d’avril, le premier regard boit un lavis d’hiver juste aquarellé par endroits des premiers rouges des camélias et violets des lilas et rhododendrons.
Mais à l’avancée, dans la roseraie ou le carré aux vignes, l’œil suit encore les traits d’un dessin, lit tout les arrangements de l’espace, avant de s’accrocher au bourgeonnement des bois et percevoir prêtes à fendre toutes ces chrysalides qui libèreront alors, dans une joie animale, fleurs et feuilles.
A ce moment si particulier de la nature en cours d’écriture, la naissance des feuilles nous donne la plus belle émotion. Le corset cède, éclot une aile qui se déplisse, vernie vert clair, duveteuse, ronde, pointue, dentée ou lobée, une plume roulée dans le souffle de la terre. L’arbre à nouveau nous murmure, nous frôle de ses lumières. Le monde à nouveau nous étreint.
Dans ce jardin-livre, en cette fin d’après-midi, notre rêverie filait la pensée d’Alberto Manguel : « A nos débuts les mots nous semblaient occuper non seulement le temps mais aussi l’espace, à la manière de l’eau ou des nuages… »
A la manière de l’arbre qui coud son merveilleux livre des frémissements.

mercredi 8 avril 2009

La cité des mots

Ce week-end un imposant bateau-livre faisait escale quartier Ste Croix à Bordeaux. A son bord, on avait réellement le sentiment de fouler « la cité des mots » d’Alberto Manguel, de naviguer dans ce monde des histoires qui « peuvent nous venir en aide… nous guérir, nous illuminer et nous montrer le chemin… nous rappeler notre condition, percer l’apparence superficielle des choses et susciter l’intuition des courants et profondeurs sous-jacents… alimenter notre conscience et par là nous amener à savoir sinon qui nous sommes, du moins que nous sommes, connaissance essentielle qui s’enrichit par la confrontation avec la voix d’autrui. »
Dans le foisonnement des pages, on pouvait saisir que « le langage est une chose vivante qui ne raconte pas notre passé mais le représente : il force la réalité à se manifester, il fouille dans ses profondeurs et en fait remonter les situations fondamentales, grandes et petites, de la condition humaine ». Il est « une forme de l’amour des autres ». « Le langage de la poésie et de la fiction qui reconnaît l’impossibilité de nommer de façon exacte et définitive, nous groupe en une humanité commune et fluide tout en nous prêtant, en même temps, des identités autorévélatrices. »
Dans le regard contenu des auteurs, on pouvait lire : Ecrire est « une activité filtrant vers notre futur, au travers de notre présent, un flot constant de langage permettant aux mots de donner une forme et un nom à une réalité toujours en cours de formation », avec le sentiment comme l’écrit Eric Ormsby que « les mots ont une existence personnelle, bien à eux, indépendante de nous et que lorsque nous parlons ou écrivons, surtout dans les moments de grande émotion, nous ne faisons que profiter de l’obligeance d’une syllabe ou du caractère conciliant d’une expression. »
Dans la quête fugueuse des lecteurs, on pouvait entendre : « Je lis comme la flamme lit le bois »
Ce week-end, dans le monde amarré des livres, fuyant le bruit des communicants, on ouvrait les mots éclatants d’Alberto Manguel : « A l’usage réduit que la politique fait du langage, les histoires que nous racontons peuvent opposer un univers-miroir illimité… qui nous aide à percevoir une image où nous figurons tous ensemble. »

vendredi 3 avril 2009

Avril, ne te découvre pas d'un fil

Alors nous allons avoir des lendemains londoniens qui chantent. Les vingt grands argentiers vont jeter des milliards sous la table des affamés. Ce lendemain de langue et de gueule de bois, ils nous promettent de refaire le monde, cracher dans leur soupe libérale, couler leurs paradis fiscaux, moraliser leurs combines, remarcher sur la terre ?
La terre ? Si seulement tous ces beaux cerveaux repus mettaient de temps en temps leurs mains dans la terre, regardaient avec amour le champ du monde. Si seulement ils cultivaient leur jardin.
Le jardinier se lève tôt, regarde l’écume au bord du ciel et le bleu qui prend déjà dans l’échappée des déchirures. Il aime avril, son calme frisquet picoré de moineaux, ses éclats jaunes forsythias, primevères, narcisses. Il aime avril son air cru qui aiguise son corps. Il aime sur ses outils le sourire brillant de la meule. Il aime avril, son commerce patient avec le ciel. Il passe maintenant de longs moments avec ce jardin qu’il ne fréquente l’hiver que pour l’entretenir de quelques pensées et prélever quelques longues carottes et monstrueux poireaux barbichus. Il retourne, bêche, émiette, ratisse. Il borde au mieux ses planches, lits bien faits pour y coucher une belle écriture.
Le monde lui appartient, des radis serrés qui ourlent le carré, des fèves qui nouent, de l’ail et des oignons qui percent. Il aère les laitues qui blondissent, tire l’herbe de l’oseille, démêle les fraisiers. Il égraine en ligne, sème à la volée carotte nantaise, cardon blanc, céleri doré, épinard de fer. Il aime avril qui faufile doucement ses pages.
Le jardinier se lève tôt pour passer du temps avec sa terre, renouer avec les gestes de son père, écouter pousser cette vie qui sort des mains, embellit le cœur, met un bonheur simple sur la table.
Il ne se découvre pas du fil qui nourrit les hommes. Ce fil si ténu entre les dents aiguisées des vingt banquetteurs qui se prennent pour les maîtres du monde.

mercredi 1 avril 2009