mercredi 30 septembre 2009

Blues du bord d'automne

On est là étreint de joie
Au bord de cet automne
Qui tombe avec douceur
Sous l’ambré dévêtement

On sirote le verre plein
D’une blonde lumière
Qui distille aux lèvres
Un parfum de muscat.

lundi 28 septembre 2009

Les derniers indiens


Un bel article du « Matricule des anges » m’a récemment fait découvrir Marie-Hélène Lafon. Je viens de refermer avec émotion « Les derniers indiens », Quel livre !
N’y allez pas pour l’histoire : autour de l’intrigue mince et très étirée d’un meurtre d’enfant, c’est le regard aigu d’un entomologiste épinglant le voisinage de deux générations paysannes, la vie terrée d’un clan de taiseux qui se meurt l’œil cloué aux temps modernes d’une autre tribu débordant de vitalité.
Marie écoutait. Elle ne cherchait pas à tout comprendre, elle assistait à la vie des voisins comme à une sorte de spectacle sans fin, donné, stupéfiant et familier à la fois. Ils étaient là, ils se mouvaient, émettaient des sons, des odeurs, multipliaient les gestes, les images, recommençaient, cessaient, recommençaient, tous, hommes femmes enfants, bêtes et gens. Ils étaient différents et semblables, on ne concevait pas le monde sans eux, l’autre côté de la route sans eux, on respirait leur air, on les inventait, on s’en occupait.
Allez y pour le style .La plume De l’auteure est aiguisée comme un scalpel. Sa langue poncée, balsatique, éclaire d’une lumière âpre l’étriqué des vies, avec leurs ressassements intestins, émiette le bloc sombre des êtres, fouille le commerce craquant des choses. Elle autopsie les sons, les odeurs, dissèque les battements mêlés des chairs et des terres. Elle nous tient dans l’engrangement des petits détails qui nouent les existences, dans l’égrènement des maigres paroles qui criblent la vie des autres.
C’est un travail d’effritement de mottes, de mots longuement ruminés, d’étreinte qui donnent aux personnages une terrible présence, un enracinement implacable dans le magma d’un huis-clos. Elle a l’œil d’un Depardon en plus viscéral.
A trois heures et demie, la musique avait hoqueté, lentement, loin, ensuite elle s’était dessinée droite dans la lumière vide, c’était une musique grave qui ne dansait pas. Elle avait pensé qu’ils devaient savoir pour Pierre, qu’ils savaient, puisque leurs vies à tous, dans les deux maisons, étaient tellement enfoncées les unes dans les autres que rien n’échappait. Cet air avait duré longtemps…
Marie Hélène Lafon est née dans le Cantal. Elle est de la race littéraire des Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, ou Mathieu Riboulet…

vendredi 25 septembre 2009

Blues de la boursette

Vert ce matin tout neuf
Dans l’amour quotidien
L’écrit rond de la mâche
Sur mon cahier de terre
Traits gonflés de lumière
Des semis minuscules.

Je cueille alors « boursette »
Dans le peu de mots venus
Aux lèvres de mon père
Puis « Sème clair surtout »
Léger viatique qui graine
Dans mon cahier d’encre.

à Lucien Suel
jardinier de "La table ronde"


mercredi 23 septembre 2009

Au croc du boucher


...Il aurait fallu que tout soit sexe, les rideaux, la moquette, les sandows, et les meubles, il m’aurait fallu un sexe à la place de la tête, un autre à la place de la sienne.
Il nous aurait fallu pendus tous les deux par un crochet de fer face à face dans un frigo rouge, crochetés par le haut du crâne ou par les chevilles, tête en bas, jambes écartées, face à face nos chairs, livrés impuissants au couteau de nos sexes brûlants comme des fers rougis, ouverts, brandis…

Non ce n’est pas VGE qui se cache derrière ce texte sulfureux, ni Galouseau de Villepin le poète des listings, que Chouchou l'affamé poursuit de sa rage verte et virile, dans la plus noble tradition de nos saignantes mœurs politiques salivant de le voir pantelant comme christ, écorché comme un Bacon ou crucifié comme un Vélikovic mais Alina Reyes dont « le boucher »a échauffé, en 1987, tous les étals des libraires.
Une écriture rouge et magnifique au service d’un roman célébrant superbement la chair. Une langue flamboyante très éloignée de la vulgarité de nos roitelets qui ont oublié qu’aux siècles précédents, l’honneur se lavait sur le pré, à l’aube, à l’épée ou au pistolet.
...Je lui mordis la poitrine sur toute sa largeur ; des charges électriques me parcouraient la langue, les gencives. Je me frottai le nez au gras de sa viande blanche, aspirai son odeur en tremblant. Je louchais de plaisir, le monde n’était plus qu’un tableau abstrait et vibrant, un entrechoquement de taches couleur chair, un puits de matière douillette où je m’enfonçais dans un élan joyeux de perdition...

mardi 22 septembre 2009

blues du thé vert

Matin tombé des nues
Dans l’odeur de thé vert
Nuit avalée terre crue
Où se brûler la langue

Plaisir de laver l'oeil
Dans la lessive bleue
le coeur étendu nu
A l’entrée du jardin.

dimanche 20 septembre 2009

Au bonheur, au bonheur!

Mon premier se prénomme Amine, il est le héros involontaire et malheureux d’une série B auvergnate « Il n’y a pas de fumée sans Hortefeux ».Mon second Malik, saigneur des anneaux, est le Prophète des barreaux, le gilette deux lames du très long métrage de Jacques Audiard qui rase gratis le moindre battement d’humanité. Sorte d’épopée communautariste sauvage d’un self-made caïd malgré lui, petite frappe qui nous saoule de coups jusqu’au ko sous un ciel si bas que s’y cognent les cerfs. Mon dernier, Samir sort aussi de tôle pour retrouver sa rue et son père un formidable Jean Pierre Bacri dans « Adieu Gary ».Petit film avec un budget d’arête mais gonflé à l’hélium de la fraternité. Un gros cœur ouvrier qui s’éteint dans la « maison du peuple » avec le démantèlement de l’usine locale dont Bacri entretient le dernier rouage. Dans un carton-pâte de western, que traverse la figure mythifiée de Gary Cooper, l’amour et la solidarité remplissent doucement le sablier d’un moyen métrage dont on sort avec une dose de bonheur à délaisser les dealeurs pendant plusieurs jours.
Le bonheur voilà donc un sentiment bien intime que chacun estime aux rayons qui entrent par sa fenêtre. Sentiment donc bien relatif dont la mesure varie sur l’échelle des attentes des uns et des autres. Alors pourquoi tout à coup cette volonté de notre Chouchou de s’en mêler ; Quelle dard le taraude au point de vouloir transformer le PIB en BNB le bonheur national brut ? Le pourfendeur des éclaircies soixante-huitardes, le bretteur du « travailler plus », le forgeron du bouclier fiscal, le casseur du service public, aurait-il, avec la crise, retourner sa Rolex, ou ne cherche-t-il pas de nouveau à brouiller les cartes, à embrouiller le crédule qui manque encore à sa future réélection ?
Le libéralisme qui a précipité dans la précarité nombre de citoyens a radicalement perverti la notion du bonheur. Aujourd’hui il est fondu dans la consommation jetable, coulé dans la possession mimétique. Il n’est authentifié que dans l’apparence, L’ostentation. « Bonheur d’avoir, d’avoir plein les armoires… », Voilà le seul crédo des marchands de bonheur pour « la foule sentimentale ».
Alors qui peut croire le cinéma de ces mauvais acteurs économistes et politiques qui depuis des années jouent aux apprentis sorciers au détriment du bien public. Non le bonheur est une chose trop fragile pour être laissé aux manipulations de n’importe qui.

jeudi 17 septembre 2009

23 morts pour la France Télécom

Le 31 mars 2009, j’avais mis en ligne une chronique, après le suicide d’un ouvrier de chez Deshoulières, à Chauvigny .intitulée « travailler tue ». Aujourd’hui après le réveil médiatique sur le sujet, je vous invite d’urgence à relire le commentaire posté par le collectif Copernic à la suite de mes réflexions, hélas combien d’actualité.
Evidemment le cas France Télécom par le nombre de ses assassinats et la présence de l’état dans son conseil devient un triste cas d’école. Mais il ne faudrait pas qu’il cache le véritable nombre des victimes, morts ou gravement malades de la guerre économique livrée pour la seule défense d’intérêts privés et notamment boursiers.
Ne nous leurrons pas, si le gouvernement aujourd’hui intervient, alors que par ailleurs il déclare vouloir renforcer le contrôle des arrêts-maladie dans la fonction publique, c’est parce qu’il est partie à l’hécatombe et pour le moins complice pour absence d’intervention avant le gong des médias.
Ne nous trompons pas, si la direction de France Télécom annonce aujourd’hui quelques misérables mesures( un numéro vert, un recul d’un mois des mobilités…) , c’est moins pour endiguer ce que son triste PDG Didier Lombard, sorte d’éléphant dans la porcelaine des relations humaines, appelle « une mode » trahissant bien là le cynisme des dirigeants actuels, leur mépris des salariés, simplement chair à bonus, que pour redorer une image sérieusement « choquée ».
Comment, usager de cette entreprise, ne pas, en effet, se sentir éclaboussé par cette violence. Comment ne pas se sentir solidaire de ces gens des boutiques, des boitiers, des écrans de ces fenêtres où nous jetons dans le net ; Comment ne pas prêter assistance à ces humiliés pressés comme Orange? Face à ces SOS illimités, envoyons SMS illimités à ce Lombard pour rappeler à sa conscience ces 23 morts, tombés pour la France Télécom.

mercredi 16 septembre 2009

blues de la première pluie

Ce matin dans l’air
Petit bruit de touches
Quand je la réveille
Impression qu’il pleut
Solo pour un cœur
Qui ouvre l’oreille
Mais le ciel est sec
Juste doigts du vent
Sur la peau des feuilles
Un chantonnement
Sous la coulée bleue
Ce matin pourtant
J’aurais aimé naître
Poète à ses yeux
De la première pluie.

mardi 15 septembre 2009

l'arroseur arrosé

Faut-il retourner Hortefeux sur le gril ?le condamner au bûcher ? Ce zélé soldat de Sarko, parrain d’un fiston, ce monsieur plus du charter. Alors que notre Brice de Neuilly, monté de son Puy de dôme, n’a sans doute été victime que de son amour immodéré pour la gentiane ou la verveine.
Souvenez-vous de cet ancien slogan prévenant la routière : Un verre ça va, beaucoup bonjour les dégâts…Au fond, dans l’euphorie d’une petite bourrée mille-vachienne notre tellurique a du être trahi par sa double vue un beur, pardon un Auvergnat ça va, beaucoup bonjour les dégâts…Evidemment l’incident permet d’apprécier la sagacité du nouveau premier flic de France. Car rappelons la description quasi anthropométrique que faisait Alexandre Vialatte des Auvergnats Ils ont des cheveux noirs, des yeux de braise, des dents luisantes et des chandails superposés, les uns marron et les autres aubergine, en laine épaisse. Pour le 15 août, ils en enlèvent un. A la toussaint ils en ajoutent deux. A la fin de leur vie ils sont devenus pure laine. On se sert du grand-père pour planter les épingles, et le médecin, quand il l’ausculte, doit l’éplucher comme un oignon…
Maintenant faut-il en faire un fromage, voire des montagnes ? Que celui qui n’a jamais abusé de la Volvic lui jette la première pierre ponce. La seule question qu’induit la gaudriole de notre arrosé, sans doute aussi gagné par la psychose du caténaire c’est de savoir si les 30000 expulsés de son ancien ministère l’ont été vers Bamako, Alger ou Ouarzazate ou bien Clermont-Ferrand ?
Plutôt que l’hallali laissons dans sa lie notre sinistre qui au temps du tribunal des flagrants délires aurait été surement condamné à traire les deux mille cornes de son vert plateau.

jeudi 10 septembre 2009

De"La Mort d'un jardinier"à"La patience de Mauricette"


Le vent brosse maintenant l’ardoise, buffe un léger bleu crayeux, après le martèlement nocturne des toits Lillois.74 rue d’Esquermes, boulevard Montebello, A25 en direction de Dunkerque, hasard des cartes et les lignes de vie, je roule vers Armentières. 15 kilomètres d’autoroute vers la sortie nationale de « La patience de Mauricette » à l’Etablissement Public de Santé Mentale dans lequel Lucien Suel vient de passer un an en résidence d’écrivain.
Enfin j’ai l’occasion de saluer, hors le truchement du net, ce poète dont « La mort d'un jardinier »m’accompagne depuis des mois. Noir et blanc, il a troqué ses Doc Martens pour des tennis plus rockeuses. Mais c’est bien l’homme simple et chaleureux qui transparait dans le livre, cette œuvre lumineuse dont le mot « roman » résume mal les chorus poétiques. Ce livre singulier, sorte d’autobiographie tamisée dans la distanciation d’un tutoiement qui au plus menu scanne le travail du jardinier, débobine les rushes d’une vie qui lâche et projette la traversée que représente la mort, passage dont l’imagination anticipative pulse de magnifiques images traduisant particulièrement le talent de l’auteur.
Mais si cette œuvre nous touche profondément, c’est parce qu’on y sent battre à chaque page un cœur gros comme ça. Cœur d’un humain parmi ses frères, les pieds dans la terre et la réalité du monde. Un homme bien qui a gardé après 68, le tempo de la beat génération, refusant le robinet du matérialisme, tranchant dans l’uniformité, entretenant son lopin de résistance pour garder l’âme propre et disponible à l’altérité.
Au fil des pages miroir souvent de notre propre histoire, on retrouve les pulsations d’une génération qui rêvant de changer le monde n’a travaillé qu’à changer sa vie, émoussant ou trahissant, au passage, ses slogans idéaux. Alors les combats ou les contemplations du jardinier, ses saisons rythmées par l’amour, sa vie simple nous font simplement du bien. Mais ni naïveté ni facilité, on sait qu’il lui a fallu enfoncer soulever retourner, enfoncer soulever retourner pour ressembler à lui-même, à son rêve.
Et cette philosophie du jardinier c’est celle sans aucun doute de l’écrivain, celui qui se dit poète ordinaire pour mieux signifier que la poésie est immédiate et partout même si la langue doit être travaillée à l’arbraquette. Chaque page est un carré de terre où on récolte ce qu’il sème, ses mots à manger, à faire rouler dans la bouche comme une fraise une cerise un noyau de pêche. Chaque page nourrit l’émerveillement.


Son second opus « La patience de Mauricette », écrit lors de sa résidence littéraire à L’Etablissement Public de Santé Mentale d’Armentières, cultive beaucoup plus les plates-bandes du roman. Il nous lie à l’odyssée de Mauricette Beaussart( vieille complice de l’auteur), soudainement éclipsée de l’hôpital où elle était soignée. Au fil de la Lys, il nous entraine, sur les pas et dans les pensées de Christophe, un ami parti à sa recherche, dans le courant et les méandres de la vie tragique et bouleversante de cette fille de jardinier, ancienne institutrice, voyageuse rimbaldienne et semeuse de poèmes, dévorée par une culpabilité d’enfance qui régulièrement entame sa santé mentale. Et ce lien nous ne pouvons le rompre, tant cette femme mordue par le destin dont la langue fleurit ou titube nous prend le cœur. Un personnage criant la vérité d’une chair et d’une âme prises dans l’étau d’une destinée trop humaine qui nous met à vif nous faisant toucher la fragilité de toute vie et le gouffre si facilement ouvert quand son cours se retourne. Alors nous tournons les pages, toujours plus impatient de retrouver cette femme, on espère, enfin délivrée de sa torture et penchée sur la feuille blanche d’un poème. Mais suspense.
Lucien Suel dispose subtilement ses cartes. La construction du livre renforce aussi ce fort attachement à son héroïne. Il coupe-colle avec dextérité les ombres d’un passé voué à la vie simple de ces gens de terre, frères humains désolés par la guerre avec ses drames prenant l’enfance à la gorge, les quelques trouées de lumière de l’ascension sociale et des partages de l’écriture et les assombrissements des effondrements dépressifs qui conduisent régulièrement Mauricette dans les mains des gens de la santé mentale dont il rend avec beaucoup d’empathie l’humanité. Enfin il passe dans cet entrecroisement entre passé et présents le fil d’un très étonnant monologue repris au cahier jaune tenu par la patiente, son petit ring à cordes bleues. Monologue dont l’invention poétique nous subjugue.
Car nous retrouvons à la lecture de « La patience de Mauricette » tout le bonheur que nous avait donné « la mort d'un jardinier ». Bonheur de l’univers du jardinier poète épié par le rouge-gorge, bonheur de l’irrigation végétale qui baigne les pages, bonheur du compagnonnage retrouvé avec Christophe Tarkos, Verlaine, Rimbaud Delvaux Coltrane et bien d’autres.
Mais par-dessus tout bonheur de la langue. Lucien Suel reste avant tout un poète. Il a su créé pour Mauricette (Mauricette Beaussart, Retraitée de la Végétation Nationale), un langage noué à l’être apparemment emmêlé et de traviole mais en réalité plein de grâce et de succulence. Entre Oulipo et glossolalies d’un Artaud, il met à jour une langue qui nous émeut, nous traverse et nous interroge. Son battement très musical, tout en nous mettant à l’épreuve du dérobement nous ébranle profondément. Quelque part son étrangeté, ses incantations retournant le sens frappent directement au cœur. Lucien Suel a trouvé le langage du suprême amour.
Et nous comprenons, en refermant ce très beau livre que cette « âme en incandescence » sortant de la piscine de Jérôme Bosch pour nager dans l’océan s’apaisera en renaissant par les mots.