samedi 31 octobre 2009

Pierre Michon majuscule


Gérard Bobillier est mort d’un cancer le 5 octobre. Cet ancien militant révolutionnaire avait fondé en 1979 les éditions Verdier. Son exigence éditoriale fait que chaque ouvrage publié a la même rareté que l’or de la couverture qui ensoleille toute bibliothèque. Cet homme inclassable qui disait que la littérature est la chair de la pensée, avait su arracher la plupart des textes de Pierre Michon qui vient de voir, le 26 octobre, à travers « Les onze », couronner son œuvre par les habits verts. Juste consécration d’un écrivain atypique qui depuis 1984 a publié une douzaine de petits textes qui ressemblent à des récits .Car si l’œuvre de Michon est immense ce n’est pas par son volume, chaque livre pesant une grosse centaine de pages, mais par son poids d’écriture, l’extrême beauté de sa langue, son lyrisme épique. Depuis 84 Pierre Michon espère, à chaque livre, retrouver le miracle initial de « Vies minuscules » qui lui a permis enfin de danser sur ses deuils. Celui qui dit je crois bien n’avoir plus d’autres racines que la lettre a été appelé à l’écriture. Une écriture qui utilise le mot par effraction, pour sa sonorité, parce qu’il fait image, ou parce qu’il atteindra violemment le lecteur comme un coup de poing, pas un acte intellectuel. Pierre Michon vit la rédaction d’un texte comme une fabuleuse dépense d’énergie, aveugle mais très consciente, pleurante et riante, limitée dans le temps, comme la copulation. Avouant sa dette à Faulkner, il précise ainsi sa démarche ce que m’a donné Faulkner, c’est la permission d’entrer dans la langue à coups de hache, la détermination énonciative, la grande voix invincible qui se met en marche dans un petit homme incertain.
L’écrivain aspire à la grâce : je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules importent les apparitions. Alors cette exigence conduit, dans « les onze » à cet exemple d’envoutement :Il était, François Corentin, du nombre de ces écrivains qui commençaient à dire, et sûrement à penser, que l’écrivain servait à quelque chose, qu’il n’était pas ce que jusque-là on avait cru ; qu’il n’était pas cette exquise superfluité à l’usage des grands, cette frivolité sonnante, galante, épique, à sortir de la manche du roi et à se produire devant de jeunes filles plus ou moins vêtues dans Saint-Cyr ou dans le Parc-aux-cerfs ; pas un castrat ni un jongleur ; pas un bel objet plein d’éclat enchâssé dans la couronne des princes ; pas une maquerelle, pas un chambellan du verbe, pas un commis aux jouissances ; rien de tout cela mais un esprit- un fort conglomérat de sensibilité et de raison à jeter dans la pâte humaine universelle pour la faire lever, un multiplicateur de l’homme, une puissance d’accroissement de l'homme comme les cornues le sont de l’or et les alambics du vin, une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes.
Du coup cette ampleur peut malheureusement rebuter nombre de lecteurs. C’est pourquoi, si vous découvrez cet auteur je vous recommande de l’aborder par « Vies minuscules »,« La grande Beune » ou « Vie de Joseph Roulin ».

vendredi 30 octobre 2009

Blues des dahlias

A ce moment de lampe
Où octobre étrécit
On s’éclaire aux soleils
Des dahlias en chant

Tête dans les pétales
On referme les yeux
Sur le bruit des teintes
Qui ébrèche la nuit.

mercredi 28 octobre 2009

Blues de Scarlett Johansson















Le plus beau brin de fille
Ne craque que menu grain
Mais si l’oreille paresse
Sur les notes fondantes
Aux lèvres l’œil mange
Langueur mandarine
Scarlett fêle peu l’âme
En roulant galoches
Au moindre brin d’air
Mais le silence qui suit
Est encore de la peau.

lundi 26 octobre 2009

Blues du métro

Ciel perdu troglodyte
M’enterre soudain mouvant
Dans la panse populeuse
Obscur jeté en pâture
Saisi cramponné pendu
Avalé enchevêtré
Dans la pelote des traits
Griffonnant le monde
Sans arrangement possible
Pour casser le fil des corps
Vomi à quai échoué
Je réémerge au ciel
Figure entremétisséee
Digérant le cri des autres
Embusqué dans un long slam
Epicé de bouts de peaux.

vendredi 23 octobre 2009

Blues pour Jacques Chessex


Alors qu’il était violemment interpellé, lors d’un débat consacré à son dernier livre, à propos de sa défense du cinéaste Roman Polanski, le poète et écrivain suisse Jacques Chessex a été foudroyé par une crise cardiaque. La littérature en perdant cet « ogre », surnom hérité du titre du livre qui lui a valu le prix Goncourt en 73, voit s’envoler une de ses plus grandes voix, une voix troublante, rugueuse fouillant nos parts de lumière mais surtout d’ombre, sondant les abimes de la chair comme de l’âme, une voix enragée à nommer ce qui se dérobe, sexe ou Dieu Celui qui vivait des visages, des corps, des voix tues est sorti de l’imparfait et même des formes, des images, des tableaux qu’il croyait les plus proches de l’absolu.
Grand romancier Jacques Chessex était d’abord un immense poète :

Qu’entends-tu sur le bord de la neige ?
Je n’entends rien ou ce bruit
Qui vient de mon cœur toujours tenté
De redescendre dans le rien…


Un poète parlant ainsi de l’amour :

Mon amour tu es là
Comme un feuillage clair sur la page
Et je n’ai rien reçu
De plus précieux que ce pouvoir
De te comparer à la vie.


Ou de la mort :

O Charon/ Quand je devrai passer l’eau noire
Le temps du voyage/ Laisse moi tenir mon invisible main
Cette monnaie de feuille/ Afin, serrant l’obole friable sous mes doigts raides
Qu’en ce dernier instant je me rappelle/ L’instant que je n’ai pas su vivre.

Un poète du blues dans « Allegria »

Comme Oscar Peterson égrène ses notes
D’eau fine de cascade de nocturne source
Toi fauvette au bois du cimetière/ Tu me parles
Dans la douceur d’être vivant/devant la mort.

mercredi 21 octobre 2009

Blues de La rochelle

Le temps est à l’oubli
Des chiens qui rêvent
Dans la manche des vies
Qui cuvent leur débine

Aux ruches des terrasses
Les belles dénouent nuque
Renversant le soleil
Sur le sang noir des rues.

jeudi 15 octobre 2009

La pensée

"La pensée, me semblait-il est un flux auquel il est bon de foutre la paix pour qu’il puisse s’épanouir dans l’ignorance de son propre écoulement et continuer d’affleurer naturellement en d’innombrables et merveilleuses ramifications qui finissent par converger mystérieusement vers un point immobile et fuyant. Que l’on désire au passage, si cela nous chante, isoler une pensée, une seule, et, l’ayant considérée et retournée dans tous les sens pour la contempler, que l’envie nous prenne de la travailler dans son esprit comme de la pâte à modeler, pourquoi pas, mais vouloir ensuite essayer de la formuler est aussi décevant, in fine, que le résultat d’une précipitation, où, autant la floculation peut paraître miraculeuse, autant le précipité chimique semble pauvre et pitoyable, petit dépôt poudreux sur une lamelle d’expérimentation. Non, mieux vaut laisser la pensée vaquer en paix à ses sereines occupations et faisant mine de s’en désintéresser, se laisser doucement bercer par son murmure pour tendre sans bruit vers la connaissance de ce qui est. Telle était en tout cas, pour l’heure, ma ligne de conduite."

extrait de "L'appareil-photo" de Jean-Philippe Toussaint

mardi 13 octobre 2009

Blues des châtaignes

Sous le soleil rouillé
Quand chutent les châtaignes
On se pique à l’automne
D’une enfance bottée
Franchissant les sept lieues
De fables charbonneuses
Avec agneau marron
Et noir corbeau gaulé.

samedi 10 octobre 2009

vendredi 9 octobre 2009

Blues du caddie

L’homme est saisi de dos
Fouillé jusqu’à l’exit
Par le suivant qui fouine
Le plein caddie échoué

C’est ça de plus en plus
Hoche la caissière
Faut remettre en rayons
L’œil trop grand sur le vide.

mercredi 7 octobre 2009

Blues du passage à niveau

Quand le staccato des boggies happe la courbe
Penché contre la barrière blanche et rouge
On perçoit qu’il est trop tard pour poser l’oreille
Contre le rail écouter battre le galop
Qui raye au passage ce bel alexandrin
Attention un train peut en cacher un autre.

dimanche 4 octobre 2009

Responsable mais pas coupable...

Comme dans nombre d’affaires similaires, c’est le bras droit qu’on vient de couper à France Télécom après le vingt quatrième suicidé de la société. A la tête elle, la ministre du culte financier vient de renouveler son entière confiance.

On ne va pas larmoyer sur ce fusible sans doute déjà rebranché dans quelque boite du même acabit. Mais après avoir vu à Annecy le Lombard suer sous les caméras et les huées, comment ne pas repenser à la formule fétiche des politiques responsable mais pas coupable.

Pourtant c’est bien ce cynique qui après avoir déclaré son groupe en guerre économique, suivant la mode libérale, a développé sa stratégie de conquête, organisé en conséquence militairement ses ressources, fait dégringoler alors ses ordres de bataille, des étoilés aux sans grade des boutiques et plateformes en passant par les petits galonnés le doigt sur la couture. Pourtant c’est bien ce coupable qui s’est assis, à vingt quatre reprises mortelles, sur « son obligation générale de santé et sécurité »ainsi inscrite dans l’article L 41211 du code du travail : «L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs »…

Responsable mais pas coupable…Il serait trop simple cependant de ne stigmatiser que ce froid patron. Comment admettre qu’il ait fallu vingt trois suicides pour déclencher la réaction médiatique. Quand on pense à l’immédiat tollé (et c’est juste) que provoque chaque mort d’un militaire en Afghanistan, on mesure l’intolérable banalisation de la mort au travail. Le monde de l’entreprise est devenu le monde du silence coupable, de la lâcheté, de la compromission. Les valeurs collectives en décalage avec dictats de la société libérale, ont été laminées par l’individualisation qui a conduit à l’individualisme le plus cruel, à une lente insensibilisation à l’insupportable. Le management par le stress et la peur a fini par inoculer une dose mortelle d’acceptation puis de dépersonnalisation, des cerveaux disponibles à la tonte interne et externe.

Peut-on espérer que la décrépitude actuelle du libéralisme conduise à un retour des solidarités. ?

jeudi 1 octobre 2009

Blues de la conférence

Octobre au verger
roussit sa palette
foule pour Renoir
des rondeurs tardives

Une guêpe grésille
sur les fruits oblongs
tête une conférence
au grain de baigneuse.