samedi 7 novembre 2009

Dans " La compagnie des spectres"

Vous souvenez- vous de la date d’achat ? répéta l’huissier qui était toujours posté, droit comme un i, devant la télévision…
Monsieur l’huissier il me semble préférable de vous prévenir que la saisie de ce poste risque de précipiter ma mère dans le pire des cauchemars…Pour ma mère qui vit donc retranchée dans sa chambre comme dans un bunker, la télé constitue l’assurance que le monde existe et qu’il continue de pourrir. La télé, paradoxalement, monsieur l’huissier, offre à ma mère, dans son immatérielle et chimérique existence, un contrepoint stable de réalité, je ne sais si je me fais comprendre, un phare en quelque sorte dans la nuit de son esprit( j’ai un faible pour les images poétiques, quoique je m’en défende), un repère terrestre, assuré, permanent, et quasiment invariable d’un jour sur l’autre( la même soupe infâme chaque jour, corrigeai-je en moi-même) auquel elle se raccroche afin de se défendre des vertiges et des sauts dans le vide où son âme sans cesse est appelée.
Mais parfois ma mère…se prend à douter de la réalité du monde qu’elle observe sur l’écran. Il me semble ma chérie, me confie-t-elle, que ce monde n’existe pas pour de vrai. Il me semble que c’est un feuilleton tourné par des figurants dans un studio vaste comme la terre et dirigé par un metteur en scène abominable, Putain peut-être, ou Darnand, ou un autre porc de son espèce, ou pis encore une puissance occulte ou diabolique sur laquelle nul n’a de prise, en tout cas, dit maman un être, une instance ou Dieu sait quoi qui a un faible pour les films d’action avec des morts, des guerres, des dévastations, du sang partout et des cascades…


Trop court extrait de « La compagnie des spectres » de Lydie Salvayre, délicieux huis-clos entre une fille et sa mère confrontées à la visite d’un huissier. C’est furieusement décapant et drôle. Un style d’une grande dynamique inventive et d’une merveilleuse radicalité. Une auteure à lire, fille de réfugiés espagnols entrés en France en 39, par ces temps nauséabonds d’interrogation Vichyste et de divagation milicienne.

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