samedi 27 février 2010

Grains de lecture 2010/3 David Foenkinos



Il y a les livres de soif qui nous désaltèrent agréablement et les livres de plaisir qui laissent en bouche une étonnante longueur, mettent en joie le corps et l’âme. La délicatesse de David Foenkinos a l’alchimie de ces derniers. Il nous attrape par l’humour mais nous succombons à son sens de l’amour.
Il commence par nous installer dans un roman-photo mené à la baguette de fée avec Nathalie et François qui étaient, en matière de mythologie de leur amour, comme des enfants à qui l’on raconte inlassablement la même histoire, puis trente pages plus tard, déchire le papier glacé, en renvoyant le premier amour à son étoile.
Alors, il met en puzzle la petite musique des surprises de l’amour autour de la fondante veuve dont la tristesse aggravait considérablement son potentiel érotique. Avec un premier maladroit chasseur, son patron à la tête d’une boîte suédoise rapidement découragé et désormais épuisé par la contemplation de cette féminité inaccessible. Puis avec Markus, collègue jusque-là transparent mais transformé en prince rêveur et amoureux fou par un baiser qualifié par elle d’acte gratuit dû à une anarchie subite de ses neurones et par lui, partout en lui, marchant dans son corps, d’art moderne (Carré blanc sur fond blanc). Et le héros Ikea, dont le physique n’est pas du premier degré, va utiliser l’humour et la délicatesse, en fait ses atouts naturels, pour séduire celle dont à cause de la moquette, on n’entendait pas le bruit de ses talons aiguilles. La moquette c’est le meurtre de la sensualité et lui rendre la monnaie de ses lèvres. Un Woody Allen jeune tout envahi par une Scarlett Johansson incapable de s’endormir : comment aller vers le rêve quand on vient de le quitter ?
Romance un peu belle et la bête ? Plutôt conte fantaisiste mais éclatant comme du champagne, plein de bulles comme : il trouva son salon bien trop petit par rapport à son envie de vivre ou il voulait être fou c’est bien la preuve qu’il ne l’était pas. L’écriture de Foenkinos légère et facétieuse, au fil des chapitres, transforme le plaisir en exquise ivresse.

mardi 23 février 2010

Grains de lecture 2010/2 Jean-Philippe Toussaint, Lydie Salvayre
























L’excès de talent devient parfois talent d’Achille. L’excès de virtuosité finit par agacer et on referme le dernier Jean Philippe Toussaint « La vérité sur Marie » un peu essoufflé. Après les très bons « Faire l’amour »et « fuir » qui avaient installé un turbulent chassé-croisé japonico-chinois amoureux je te quitte moi non plus, un pseudo road-movie d’amour, voilà l’annoncé échec et mat de la trilogie. Avec toujours la craquante Marie, pivot de l’intrigue, la mystérieuse jet-tendance, casaque de luxe, toujours flanquée de ses Ali baba porteurs de ses quarante valises, fatale tombeuse et pourtant icône fragile. Le roi des écrivains belges nous laisse dans la mertitude, à l’issue de ses derniers morceaux pyrotechniques, de ses derniers brillants galops. On ne saura jamais la vérité sur Marie pour la bonne raison qu’elle n’est que fantasme, la flamme fantasque. Tout cet embrasement chevaleresque ne cherche à séduire que les yeux noirs de la littérature. Alors oui il faut lire ce livre, en oubliant son cœur de midinette à roman photos glacé, pour le talent cent pur-sang de l’auteur, son art extraordinaire du souffle élémentaire, son toucher de phrase à la Fédérer, son lyrisme échevelé. Bon mais quand même manque maintenant le regard à la Geluck qui distanciait ses premiers livres.



BW est grand pour les grandes choses mail fort démuni pour les petites, qui sont cependant celles qui composent notre vie de tous les jours. D’où le merdier…


A contrario, « BW » de Lydie Salvayre, portrait de son compagnon Bernard Wallet est un grand livre d’amour, un magnifique exercice d’admiration. L’auteure accouche par petites touches, par douces ou ironiques relances, par parfois échanges ping-pong la vie de cet homme toujours en fuite. Alors nous partageons les galères et les joies, les violences mêmes de ses multiples voyages qui retricotent ce temps on the road si particulier et riche des années soixante. Nous suivons ce coureur à pied impénitent. Nous admirons l’homme radical qui décide de quitter en pleine réussite, refusant la dérive libérale de l’édition, la maison Verticales qu’il a créée. La lucidité, la vérité de cet homme personnage idéal désenchanté avec ses peurs, ses contradictions, ses approximations, ses bonheurs, son humour, son ironie nous prennent à vif. Humain si humain de chair et belle âme. La rebelle Salvayre livre ici son cœur. Quand vie et littérature mêlent leurs courants sauvages.


En photo: Lydie Salvayre

Grains de lecture 2010/1 LF Céline /Marie- hélène Lafon/Gerbrand Bakker



















Encore une fois, j’ai été le plus souvent emporté par les livres qui me sont venus en ce début d’année. Je ne reviens pas sur Céline, dont j’ai relu Mort à crédit à l’occasion d’une hospitalisation. Cette immobilité opportune m’a donné la longueur indispensable à la pénétration de toute son effervescence créative, la densité lyrique de son style.


La nuit de Fridières ne tombait pas, elle montait à l’assaut, elle prenait les maisons les bêtes et les gens, elle suintait de partout à la fois, s’insinuait, noyait d’encre les contours des choses, des corps, avalait les arbres, les pierres, effaçait les chemins, gommait, broyait. »

J’ai retrouvé dans L’annonce le style si envoûtant de Marie-Hélène lafon qui m’avait bouleversé dans son ouvrage précédent Les derniers indiens .Une langue poncée et poétique en parfaite harmonie avec les paysages et l’atmosphère de son sujet. Une langue toute en rugosité comme les figures taiseuses de ce Cantal où deux solitudes vont par le biais d’une annonce unir leur vertige pour apprivoiser leur environnement humain et élémentaire, l’homme des lumières vertes des massifs centraux et la femme des lumières décapées du nord. L’auteure nous aventure dans la lente maturation d’une confluence amoureuse de deux êtres déchirés. Deux belles âmes puisant force justement dans le rudoiement des circonstances. Elle nous fait toucher le nerf de la beauté.

Une même beauté, par la grâce de son écriture mélancolique et sensuelle baigne le premier livre de Gerbrand Bakker, jeune auteur Néerlandais, Là-haut tout est calme .Un long blues qui nous déchante une vie bouchée entre plat pays et ciel bas de ce bout du monde. Une histoire poignante de destin contrarié, d’amour étouffé sous l’œil aigu d’une corneille mantelée, pointé en permanence sur la touffeur et la monotonie de la vie de ferme où s’englue le héros bafoué. Cet homme définitivement en deuil de son frère jumeau et dépossédé, à sa mort, de ses ambitions littéraires a dû mettre à sa place, la tête sous les vaches, contraint par un père pour lequel il ne sait plus maintenant débrouiller amour et haine. Un père qu’il va, à sa vieillesse, reléguer à l’étage, là-haut pour tenter de revivre. Alors l’auteur nous emmène magnifiquement dans cette tentative désespérée de renaissance, de coup de pied dans le fond trouble des souvenirs. Un beau désenchantement qui nous broie le cœur.

Photo: Marie-Hélène Lafon

lundi 22 février 2010

Blues du vent turbulent

















Il suffit d’un train

Au loin qui cliquette

Pour enlever la tête

Au moelleux des nuages


Du détour d’un vent

Un peu turbulent

Pour cueillir au passage

L’enfant du voyage


Le pousser au coin

Puis à conjuguer

A tous les temps

Le verbe rêvasser.

dimanche 21 février 2010

Marianne en cloque











On a beaucoup utilisé Marianne (voir vidéo sur Rue 89) pour engranger les deniers populaires, notamment à l’occasion des guerres. Mais pour la première fois, la voilà mise en cloque pour la promotion du futur grand emprunt gouvernemental. Sur fond bel azur une Marianne de la tête aux pieds immaculée, couvant son petit trésor de milliards. Belle image virginale et dentée qui aurait, dans les années cinquante, glissé des missels entre celle d’une première communiante et une marguerite séchée.
A qui réellement attribué cette conception ? A quel semeur trousseur de semeuse, à quel ange vénal ou Saint-Esprit ? A Thierry Saussez ? L’ex publiciste, aujourd’hui directeur du service d’information de la République ou à Chouchou nous préparant subliminalement ainsi à un futur heureux événement personnel ? En tout cas le vrai donateur in vivo sera le marché. Marché que les mêmes fustigent pour la galerie. Mais on a sans doute préféré ainsi évité les tares populaires. Pourtant ne sont-ce pas en particulier les zinzins qui l’engrossent. Alors comment garantir la future normalité du rejeton ?
Mais pourquoi un tel affichage publicitaire, dans tous les journaux, en pleine page, alors que justement on a écarté du fruit des entrailles la copulation Française ? Est-ce simplement pour, au moment des régionales, rappeler au bon peuple que le pouvoir actuel pense à son avenir. Le ventre de Marianne gros de belles promesses : arrondissement des fins de mois, accouchement sans forceps de mesures capables de dégonfler le chômage…N’est-ce-pas plutôt nous bercer d’illusions et gonfler le capital du parti présidentiel ? Cela expliquerait l’étrange tonalité de la publicité.
Car la Marianne, en plein débat raté sur l’identité Française est plus qu’unicolore ; Elle est d’une pâleur et d’une saveur d’hostie. D’une blancheur qu’on pourrait juger intégriste, tant elle sent la chanoinie, la fille ainée de l’église. Tant elle sent la contre révolution. Tant elle sent le triste fichu, le vieux foulard. Couronnant le tout aube, on a même osé laver à grande eau bénite le rouge du bonnet phrygien, lui arracher toute cocarde tricolore. Voilà la figure allégorique de notre république délavée de ses valeurs : liberté, égalité, fraternité.
En attendant cette écloquée va faire les choux gras de l’agence RSCG qui va orchestrer la campagne pour un coût, parait-il, de 975000 euros.
La seule question qui reste d’actualité dans le fil des propos d’Elisabeth Badinter, c’est de savoir si la future et pâlotte progéniture tétera le sein ou le biberon ?

vendredi 19 février 2010

Fin de la route



Dans ma dernière prescription poétique je me faisais l’écho d’une réflexion récurrente de Louis Dubost : lisez les poètes avant qu’ils ne soient morts. Cette formule pour rappeler, malgré l’ombre dans lesquels on maintient les poètes, que la poésie est plus que jamais vivante et vitale.

Aujourd’hui j’ai le cœur effondré pour dire : lisez et relisez Serge Wellens après sa mort. En effet Serge, né à Aulnay-sous-bois en 1927, vient de définitivement poser sa plume. Il habitait Marans au bord du canal avec Annie. Pendant des années il a aidé Annie dans sa librairie de La Rochelle « Le puits de Jacob ». Fils d’un homme aquarium et d’une trapéziste, Serge a choisi le fil des mots pour traverser une belle vie consacrée à la poésie. Belle vie dans le compagnonnage de l’école de Rochefort, des Rousselot, Bouhier, Bérimont, Béalu ou Manoll, dans l’amitié des Chaulot, Guillevic, Humeau, Follain, l’Anselme et tant d’autres, dans la complicité de revues comme Io ou Noah contribuant à l’émergence de nombre beaux poètes comme un Commère ou un Sacré. Belle vie en poèmes dont on retiendra J’écris pour te donner de mes nouvelles en 52, A la mémoire des vivants en 55, Les dieux existent en 66, la pâque dispersée en 81, La concordance des temps en 86, Les mots sont des chiens d’aveugle en 97, Il m’arrive d’oublier que je perds la mémoire en 2006.

Belle vie d’homme surtout. Serge était un grand humaniste, façonné par les voyages et guidé par un engagement toujours lucide. Il cultivait comme peu l’amitié, toujours souriant, attentif et encourageant. Très pudique il vous laissait l’aborder simplement dans les salons de poésie comme celui de La Rochelle ou Nantes, prenant le temps d’un échange toujours malicieusement teinté d’humour. C’était un poète de l’ordinaire des jours attentif à l’homme comme au scarabée écrivant : Chez les fourmis je suis un poète célèbre ou Qui tend l’oreille entend la rouille. Peut-être pour dire au mieux ce poète fraternel cet extrait évoquant son épouse dans « Ni le jardin de son éclat » : Annie, c’est peut-être à cela que nous nous sommes reconnus, à cette faculté de laisser au langage la bride sur le cou, d’abuser du droit de réinventer la vie, de raisonner par l’absurde contre la médiocrité et de trouver, en chaque éclat de rire, la preuve que nous avons raison.


Scarabée


Dans la carrosserie

D’un moins que rien de scarabée

Traînant dans moins que rien

Sa moins que rien de vie

La lune

Se trouve belle

Et tremble.


Extrait de « Les résidents » 1990



Dans l’été cruel


Des siècles qu’il n’a pas plu

Les pierres et la terre s’épousent

En leur incorruptible dureté

Mais

Il arrive qu’un oiseau

Planant au plus haut de son vol

Toutes plumes ouvertes

Traverse

L’insondable bleu d’un ciel sans couture

Et que ses ailes soient

Ne soient rien d’autre que

Les mains de Debussy

Fertiles déployées caressantes

Jouant jardins sous la pluie

Sous la pluie qui cire les pommes

Et donne à la soif

Ses innombrables noms d’emprunt.


Extrait de « Il m’arrive d’oublier que je perd la mémoire » 2006

jeudi 18 février 2010

Bonjour la joie


Dans les années 50, la joie sentait. Un slogan accompagnateur d’un jeu radiophonique embaumait les ondes le parfum Bourjois avec un j comme joie. Il avait été créé par Charles Trenet. Le côté éthéré et vaguement immatériel de ce détournement publicitaire de la joie entrainait qu’on pouvait l’entendre.
Soixante ans plus tard la joie pue. Enfin quand ce merveilleux sentiment est utilisé par Bmw pour vanter une nouvelle technologie au service de ses cylindrées. Dans un encart bien agrafé au centre de mon Télérama, seize luxueuses pages déclinent la joie sous différentes formules plus ou moins sibyllines et provocantes :La joie est efficient dynamics, La joie s’affiche fièrement, La joie vous présente la nouvelle Bmw 320d , La joie n’aime pas les compromis, La joie choisit de ne pas choisir, La joie est une énergie à haute tension, La joie défie les lois de la finance, La joie aime les défis, La joie est précieuse et abordable, La joie est proche de vous, La joie promet un avenir passionnant.
Après la Rolex ce marquage Séguelien du nirvana individuel à cinquante ans, voilà donc la Bm. Mais en liant la joie à l’affichage fier et totémique de cet objet de luxe, les auteurs de cette pub ne réussissent qu’à corrompre ce bel éclat d’âme, à le matérialiser de la plus vulgaire façon. Sans compter qu’ils classent, marginalisent, excluent de leur triviale béatitude (Bmattitude ?) tous les tristes individus incapables de s’offrir ce transport jubilatoire. Derrière leurs slogans La joie défie les lois de la finance ou la joie est précieuse et abordable, la réalité cache en effet une cuillère (une louche) de prix défiant plutôt insultant nombre de citoyens allant de 26900 euros à 56450 euros. La joie donc a un coût. La joie donc se mérite !
La joie dont Cioran disait : La joie, seule vraie victoire sur le monde, est pure dans son essence, elle est donc irréductible au plaisir, toujours suspect et en lui-même et dans ses manifestations. Ou Montaigne : La joie a plus de sévérité que de gaieté ; l’extrême et plein contentement, plus de rassis que d’enjoué.
Alors mettre cet exaltant et pénétrant sentiment au service du plus futile mercantilisme quelle tristesse ! Faut-il que notre société ait à ce point abandonné ses valeurs pour ainsi admettre une telle confusion des sentiments. Faut-il qu’aux yeux de ces publicitaires grands renifleurs de nos basses évolutions consuméristes nous soyons devenus à ce point primaires pour qu’ils osent ainsi galvauder l’allégresse.
Comment comprendre que le bureau de vérification de la publicité n’ait pas interdit une telle atteinte à l’égalité, un tel outrage à l’intelligence.
Quant à mon Télérama préféré, j’ose enfin à travers cette colère, lui dire que ses publicités pour bobos et beaufs argentés m’énervent et me semblent souvent en contradiction avec ses belles tribunes pseudo politiques. Mais quand en plus elles trainent ainsi la joie dans le caniveau…Non !

mardi 16 février 2010

Blues de la bise un peu plus feutrée



Parce que le temps change

Ses couleurs sur ta joue

Parce que tu t'effeuilles

A fleur de lumière

Parce que tu brûles

La lingerie du givre

Parce que neige ta peau

Sur la buée de mes yeux

Parce que le temps rêve

Autour de ton visage

Parce que ton cœur nu

M’attrape à pas de loup

Parce que la bise venue

Ne feutre pas tes lèvres

Je trouve le fond de l’air

Plutôt piquant d'amour.

dimanche 14 février 2010

My funny Valentine

En 1937, Richard Rodgers et Lorenz Hart écrivent "My funny Valentine" pour une pièce donnée à New-York. Cette chanson qui moque gentiment la St-Valentin va devenir un immense standard du jazz. On va la retrouver sur plus de 1300 albums. Notamment gravée par Gerry Mulligan, Ben Webster, Stan Getz, mais immortalisée par Chet Baker qui en fera des reprises vocales de plus en plus poignantes et Miles Davis qui l'enregistrera en 1964, en donnant à cette superbe ballade des accents plus cubistes.


mardi 9 février 2010

Blues de René Char

Porteront rameaux ceux dont l’endurance sait user la nuit noueuse qui précède et suit l’éclair.


Sous cette aile déchirante

Quitter le petit jour

Dans la bouche ce noyau

D’angle ce silex matinal

Aller debout tenir

Sur cette crête d’encre

La gorge desserrée

Par ce chant d’alouette

A travers la grisaille

Avancer vers l’autre

Percer son cri semblable

Son âme charbonneuse

A notre présent nu

Enter ce scion cinglant

Aller le cœur éclairci

Sous cet essor d’encre.

vendredi 5 février 2010

Prescription poétique/3


Des milliers de gens confessent écrire de la poésie. La poésie a ses Maisons. Elle noircit des centaines de revues plus ou moins éphémères qui font les beaux jours de noyaux de lecteurs et bâtissent de concurrentes chapelles. La poésie tient salons, s’étale dans les marchés. Elle fume dans les ateliers d’écriture. La poésie s’affiche dans un très officiel Printemps des poètes.
Pourtant, elle est boudée par des grands médias, journaux, radios ou télévisions. Pourtant, hormis les poètes eux-mêmes, elle est en disette de lecteurs. Aucun grand poète et l’hexagone en recense d’immenses bien vivants n’a la notoriété d’un grand romancier ni ne lustre les belles lucarnes des émissions littéraires. Puis-je ajouter qu’elle est très mal enseignée sauf souvent en primaire.
Alors, dans le fil de mes gaies humeurs précédentes, j’arrive à penser que des millions d’individus vivent ou plutôt survivent sans imaginer qu’ils ont à portée de leurs petites misères et grandes douleurs une étonnante et volumineuse richesse thérapeutique. Ah ! Quel chagrineux destin, quelle migraineuse circonvolution ! Quand l’abondante disposition poétique actuelle permet à chacun une automédication dont il peut abuser ! Car là, pas de posologie ; Le dépassement de la dose prescrite est même conseillé. On peut sans crainte croquer toute la plaquette. Pas de notion d’âge, de poids ou mesure. Gros ou petit, de sept à soixante dix-sept et plus, on peut soigner le mal par le mot sans compter même les pieds des vers, les boire jusqu’à l’ivresse. Car là pas d’effets collatéraux néfastes ou secondaires sinon de retrouver le goût du monde et l’appétit des autres.
D’aucuns mal ailés et par trop terre à terre m’objecteront que malgré les vignettes ornant certains ouvrages, la Sécurité sociale reste de marbre devant une telle dépense. Sans doute, mais c’est oublier le caractère durable quasi inusable même si l’on s’en sert de l’ouvrage qui peut même être prêté sans risque pour l’emprunteur sinon celui de devenir à son tour porteur du virus poétique.
Demeurer vivant en lisant les poètes avant qu’ils ne soient morts, quoi de plus roboratif !

Dois-je confesser que j’ai testé in vitro cette Poésie-thérapie. Tous les matins un poème, même quelques vers avant de prendre la route pour la tôle. Tous les matins ce grand bol de mots brûlants me donnant force tranquille ou force de rébellion au franchissement de l’engrisaillement du travail. Tout les matins ce verbe sur la langue m’empêchant de vomir.

J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille
Je souffre et je veille
Sans me reposer :
J’ai peur d’un baiser !
..

Paul Verlaine


En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus De mon enfance J’étais à seize mille lieues du lieu de ma naissance J’étais à Moscou, dans la ville des mille et rois clochers et des Sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle

Blaise Cendrars

mercredi 3 février 2010

Prescription poétique/2


Comment vivre sans poésie ? Quand le monde est plein de poésie pour qui sait voir. Apprendre à vivre en poésie, voilà surement ce que devrait prescrire notre fameux Poésie-thérapeute. Apprendre à voir, ouvrir l’œil à l’extraordinaire de l’ordinaire, être dans la disponibilité de la surprise, être dans la soif de l’émerveillement, être dans l’acuité du grain de sable. Apprendre à ouvrir tous ses sens pour accueillir l’émotion primitive. Etre dans l’échange des respirations avec le visage comme le feuillage. Capter le signe des signes. Apprendre à resserrer ses focales, agrandir sa petite musique. Etre dans l’amour. Changer le rapport de force en rapport d’amour comme dit le poète Werner Lambersy. Apprendre à se laver l’œil, à traverser le mur des apparences, du spectacle social, se réapproprier notre mise en vie. Etre dans la légèreté de l’être, cela ne signifiant pas être dans l’indifférence. Bien au contraire, aiguisée par la poésie, la sensibilité de l’être change son rapport au monde et l’invite à sa transformation.
Viendra le temps de creuser cet art du langage, son organisation des mots, sa recherche musicale, sa création expérimentale. Il s’agit d’abord d’apprendre à rêver la poésie plutôt qu’à chercher à en épuiser le sens. Il s’agit d’en inspirer le souffle bouleversant. Il s’agit d’en prendre la force, la mélodie ou la fantaisie pour être dans la joie ou la résistance.
Ce sens poétique acquis vous permettant d’isoler des pépites vous ouvrira d’étonnants voyages. Ainsi ce merveilleux chapeau de la rubrique météo du Ouest-France du 26 janvier dernier : Eclaircies vespérales . Le rédacteur qui commence par un alexandrin son résumé le flux de nord-est ramène de la grisaille… et le titre éclaircies vespérales a pour le moins l’âme poétique. Car cette simple alliance de mots va dynamiter notre grisaille et dynamiser notre quotidien. Cette concrétion de mots remâchée tout au long du jour va nous donner force et gaieté pour traverser tous les aléas climatiques du jour. Foin de l’environnement manquant de chaleur, de la routine grippant les instants, on a rendez-vous à la sortie avec une éclaircie. Il faut mille fois remercier ce poète des casses pour cette inspiration installant au cœur un tel espoir que cette journée là suspendue à son éclaircie vespérale va n’être que danse exactement sous le soleil,sous le soleil exactement.

lundi 1 février 2010

Prescription poétique/1


Quand je pense que j’ai enchaîné quarante ans d’un métier absolument dénué de la moindre étincelle, lâchement accepté pour quitter un nid familial épineux et enchristé et voler de mes propres illusions, quand je pense à cet emprisonnement alimentaire, Ah ! le pain quotidien ! à cet asservissement lobotomique dont je me suis, le moins mal possible, protégé par la subversion syndicale et … poétique. Comme Molière ne sachant pas alors que je m’auto appliquais une médication frissonnante dont j’aurais pu faire un métier. Comme on dit parfois réaliser une vocation… Quand je pense, au moment où je peux couler enfin, pour la seule verticalité, des jours et des jours de vers libres, que j’aurais pu être Poètologue ou Poèsie-thérapeute, comme me le suggère un article du dernier Psychologies magazine et proposer à la manière d’un certain Jacques de Coulon, philosophe suisse, des « Exercices de poésie-thérapie ». Ah ! le pied (poétique) ! vivre du taquinement de sa muse, de sa propre respiration poétique. Mieux, communiquer ce souffle, alléger par le verbe ailé la desespérance.

Ah ! Je me vois au bord du divan velouré rouge, ayant de beaux restes de mes noirs ensoutanements, mesurant doctement la meilleure prescription, finalement murmurer : Pour votre soulagement vous me direz de Robert Desnos deux :


Je vous salue vous qui dormez
Après le dur travail clandestin,
Imprimeurs, porteurs de bombes, déboulonneurs de rails, incendiaires,
Distributeurs de tracts, contrebandiers, porteurs de messages,
Je vous salue vous tous qui résistez, enfants de vingt ans au sourire de source
Vieillards plus chenus que les ponts, hommes robustes, images des saisons,
Je vous salue au seuil du nouveau matin…


Et de Jacques Prévert trois :


Notre Père qui êtes aux cieux Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec
son petit canal de l'Ourcq…


Et pour la prochaine fois vous lirez de Guillaume Apollinaire La chanson du mal aimé: Un soir de demi-brume à Londres…et d’Arthur Rimbaud Le dormeur du val : C’est un trou de verdure où chante une rivière…