jeudi 18 février 2010

Bonjour la joie


Dans les années 50, la joie sentait. Un slogan accompagnateur d’un jeu radiophonique embaumait les ondes le parfum Bourjois avec un j comme joie. Il avait été créé par Charles Trenet. Le côté éthéré et vaguement immatériel de ce détournement publicitaire de la joie entrainait qu’on pouvait l’entendre.
Soixante ans plus tard la joie pue. Enfin quand ce merveilleux sentiment est utilisé par Bmw pour vanter une nouvelle technologie au service de ses cylindrées. Dans un encart bien agrafé au centre de mon Télérama, seize luxueuses pages déclinent la joie sous différentes formules plus ou moins sibyllines et provocantes :La joie est efficient dynamics, La joie s’affiche fièrement, La joie vous présente la nouvelle Bmw 320d , La joie n’aime pas les compromis, La joie choisit de ne pas choisir, La joie est une énergie à haute tension, La joie défie les lois de la finance, La joie aime les défis, La joie est précieuse et abordable, La joie est proche de vous, La joie promet un avenir passionnant.
Après la Rolex ce marquage Séguelien du nirvana individuel à cinquante ans, voilà donc la Bm. Mais en liant la joie à l’affichage fier et totémique de cet objet de luxe, les auteurs de cette pub ne réussissent qu’à corrompre ce bel éclat d’âme, à le matérialiser de la plus vulgaire façon. Sans compter qu’ils classent, marginalisent, excluent de leur triviale béatitude (Bmattitude ?) tous les tristes individus incapables de s’offrir ce transport jubilatoire. Derrière leurs slogans La joie défie les lois de la finance ou la joie est précieuse et abordable, la réalité cache en effet une cuillère (une louche) de prix défiant plutôt insultant nombre de citoyens allant de 26900 euros à 56450 euros. La joie donc a un coût. La joie donc se mérite !
La joie dont Cioran disait : La joie, seule vraie victoire sur le monde, est pure dans son essence, elle est donc irréductible au plaisir, toujours suspect et en lui-même et dans ses manifestations. Ou Montaigne : La joie a plus de sévérité que de gaieté ; l’extrême et plein contentement, plus de rassis que d’enjoué.
Alors mettre cet exaltant et pénétrant sentiment au service du plus futile mercantilisme quelle tristesse ! Faut-il que notre société ait à ce point abandonné ses valeurs pour ainsi admettre une telle confusion des sentiments. Faut-il qu’aux yeux de ces publicitaires grands renifleurs de nos basses évolutions consuméristes nous soyons devenus à ce point primaires pour qu’ils osent ainsi galvauder l’allégresse.
Comment comprendre que le bureau de vérification de la publicité n’ait pas interdit une telle atteinte à l’égalité, un tel outrage à l’intelligence.
Quant à mon Télérama préféré, j’ose enfin à travers cette colère, lui dire que ses publicités pour bobos et beaufs argentés m’énervent et me semblent souvent en contradiction avec ses belles tribunes pseudo politiques. Mais quand en plus elles trainent ainsi la joie dans le caniveau…Non !

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