dimanche 28 mars 2010

Giboulée de mars

Avril au bout de la langue, déjà se faufile. Et le ciel grisaille, s’enneige presque. Pas un appui de crayon, un frottage léger mais rapide. Un ciel d’humeur qui raye, efface, éteint son acier. Casse sa lumière d’ongles autour des choses. Noircit puis revire au bleu pour n’en laisser s’accrocher, bientôt, qu’une écharpe dans quelques branches chinoises.
Mars s’attroupe, crie ses oies puis plume. Mars transhume puis tond ses nuées, agnèle ses cumulonimbus. Mars bêle sa blanche enfance. Crève ses pochons de billes. Eclate en grains, sanglote dans le cou. Grêle la douceur, crible l’épaule tendue. Mars roule son orage, débonde. Soûle le vert tendre.
Avril au bout de la langue, déjà fond. Et le ciel charbonne, sombre presque. Pas un coup de crayon, un fusain profond mais vibrant. Un ciel de chiffonnement qui bouche, gomme, use son papier. Ardoise son lait autour des choses. Rechigne puis repique au bleu pour n’en laisser luire, bientôt, qu’un fracas d’ailes dans quelques branches dessinées.


Giboulée n f orig. Obscure. P-ê. mot du domaine occitan.

Pluie soudaine, quelquefois accompagnée de vent, de grêle ou même de neige et bientôt suivie d’une éclaircie voir averse, ondée, orage. Le Robert

jeudi 25 mars 2010

La Poésie au balcon, la Femme au tison



Programmé du 8 au 21 mars, l’officiel printemps des poètes 2010 a vécu. Sa thématique était Couleur femme. Et visait à mettre en exergue la poésie féminine. Au fond comme si il existait une poésie masculine naturelle et une poésie féminine sur laquelle il fallait, 12 ans après la création de ce Printemps, mettre l’accent…
Loin de cette manifestation limite discriminatoire, la Poésie fait tous les jours le printemps sans langue sexuée.


Ce silence
Parce qu’il couvre la page
Je le comble de mots
De froissements de fissures de questions
Je l’interroge encore
Jusqu’aux parois des veines résignées.
Je parle lèvres closes
Ce qui ne peut se dire
De la bouche perdue
Entre l’air et le souffle.

Ce langage qui m’habite
Elève mes paupières
Trouble mes mains
Et dans la foule
Je cherche l’autre
Qui dégagera les mots de la langue.

Luce Guilbaud extrait de « Le cœur antérieur »


Je ne suis pas raisonnable à cent pour
cent.

C’est long d’écrire à main nue. Pousser
L’écriture au crayon, pousser les éplu-
chures, quelques éclats.

Je vais à Paris voiture sept seconde classe

Ecrire, ne pas interrompre l’exercice,
Ouvrir le robinet d’eau chaude.

Les premières pages sont en bois.

Isabelle Pinçon extrait de « UT »


Le ciel se danse.
Parfois le soleil juste en face
Je prends son vélo à mon père.
En vitesse rayonnant comme libre
Cadre d’alu, vaches légères.
Plateaux pour leurs panses montgol-
fières.
Toujours librement des rayons.

Les pommes d’or en été roulées dans
ton camion
Cabine mirador au soleil qui écrase.
Pépites sur le goudron bulles qui
pètent en rond.
Les pommes d’or terminées balancées
à la route.
Golden jusqu’au trognon.

Ce que devient ton cœur sous les pois
de senteur.
Tes mains dures et dorées par les sai-
sons elles changent.
Ton cœur est sous tes mains et toi tout
sous les fleurs.

Valérie Rouzeau
extrait de « Pas revoir »

mercredi 24 mars 2010

Nom? Prénom?



Longtemps, les tempêtes ou autres anticyclones étaient baptisés du nom du saint du jour ou du lieu de leur dévastation. Dans les années cinquante, selon les régions d’impact, des comités de pays ont établis des listes de prénoms, fleurs, oiseaux…validées par l’organisation météorologique mondiale des Nations Unies. Pour L’atlantique Nord, depuis 1954, c’est l’institut météorologique de Berlin qui a ce privilège.
En 2004, pour sensibiliser le public à la météorologie et trouver une source de financement aux programmes de recherche, de joyeux étudiants de cet institut ont eu la chahutante idée d’offrir la possibilité à tout un chacun moyennant 199 euros pour une dépression, 299 euros pour un anticyclone, de leur choisir un prénom.
C’est ainsi que l’imagination d’un certain Wolfgang Schütte a soufflé Xynthia. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, notre facétieux Wolfgang n’a rien déboursé pour ce droit de baptême. Il l’a gagné grâce à un jeu consacré au climat par un site d’internet. De quoi le faire marée longtemps.
Certains envoient des décharges de 460 volts pour secouer l’adversaire, d’autres jouent à laisser leur nom dans l’Histoire, en le liant au prénom de bouleversantes catastrophes naturelles. Comme disait l’autre, nous vivons une bien belle époque.

Heureusement pour qualifier le coloriage rose/vert/rouge des dernières cantonales, on ne parle pas de raz-de-marée mais avec raison de petit chelem.
On pourrait, par contre, reprendre le terme pour qualifier le taux d’abstention à ces élections et de celui de catastrophe pour qualifier celui du front national. 50% des Français ne votent plus, 18% votent pour le Fn.
On dit que notre Wolfgang a proposé Nicolas pour baptiser l’un de ces phénomènes et Eric pour l’autre.
Quel humour ce Wolfgang qui ajoute quand il y en a pour Berlin il y en a pour l’autre.

lundi 22 mars 2010

Le printemps s'apprête en hiver


Premières tombées de laine, odeur de peau neuve, le printemps est au rendez-vous de son poème apprêté en hiver.
Quand sourit la prime pâquerette, nous sommes encore dans l’impatience. « Il est rude, il est long, plus que l’hiver passé », l’hiver a été, rempli sa saison, ramassé dans son repos, les futures forces d’éclosions, de bourgeonnements.
L’hiver ? Nous n’en comprenons plus le sens. Oubliées nos leçons de terre. Est-ce notre constat d’éphémère sur une terre qui dure, ponctuelle dans son mouvement vital qui nous fait décrocher de ses harmoniques ?
Comme si le ressentiment prenait, de plus en plus, le pas sur le sentiment. Avons-nous perdu toute simplicité, capacité de joie à la moindre violette ? Avons-nous perdu tout savoir-vivre à la table terrestre ? N’aimons-nous que la cueillette opportune ? Ne ressentons-nous plus les battements communs des choses ? Laissons-nous l’instant pour le bruit du courant ?
Nous sommes, de moins en moins, ouverts au temps, disponibles à la beauté. Nous avons une idée du bonheur qui nous rend malheureux. Nous préférons la tiédeur à l’âpreté. Nous voudrions l’âme bien née plutôt que forgée.
Nous raclons la terre collée à nos cœurs, nous l’aimons sous vide.
Finirons-nous, aussi, par trouver gênante la neige qui, dans quelques jours, va voler des cerisiers ?

dimanche 21 mars 2010

Ma printanière



Chaque matin encore
Je n’ai de vérité
Qu’un regard effrayé
Surpris par le jour.

Alors je t’ai longtemps évitée
Quand tu frappais aux mots
Qui brûlaient nos salives
Quand tu mûrissais dans ses yeux

Te donnant le soleil
Je t’ouvrais la nuit
J’aurais voulu ton cri
Dans un monde tout neuf

J’ai longuement pesé
Que je mettais un point
Que j’allais à la ligne
Te pêcher vivante

J’aimais avec peur
L’idée que ta vie
Emmêlant nos corps
Nouerait nos cœurs.

samedi 20 mars 2010

Blues du printemps

Nous jacassons
Pour nous dire
Coupons parole
Au monde

La terre se tait
Dit en violette
Ce qu’elle sent
Dans son cœur

Nous pensons peu
Tranchons beaucoup
La terre suce
Sa pâquerette.

vendredi 19 mars 2010

Le jeu de la mort/2

81% des participants à ce terrible jeu ont donc fini, sans état d'âme par « tuer » leur « adversaire ». 17% ont fait preuve de résistance, mais cependant, après avoir accepté contractuellement de participer à un jeu dont on leur explique préalablement très clairement les règles, et donc leur rôle de bourreau potentiel. Comment expliquer alors un tel comportement ? Un tel aveuglement devant l’horreur de la demande ? Quand des expériences (voir Rue 89) ont montré que des animaux placés dans des conditions proches refusent de faire souffrir leurs congénères.

On peut fouiller la nature humaine, son rapport viscéral au mal. Nous ne pouvons que constater, à ce stade de notre prétendue évolution, la régression de la valeur de l’autre. Sans doute, là encore, devons-nous interroger l’évolution de notre société. De la bouffée printanière de 68 si étouffante pour nos actuels gouvernants à la régression culturelle entretenue aujourd’hui. Que reste-t-il des questionnements émancipateurs ? La société a basculé vers la marchandisation de l’ensemble des valeurs humaines. La moelle de nos vies au service du tout économique.

La réussite, forcément individuelle, est mesurée à l’aune de la possession, à 50 ans, d’une rolex. Les passeurs d’éducation et de socialisation sont piétinés, l’instituteur relégué derrière le curé. Le temps disponible pour les enfants sacrifié par le « travailler plus » pour l’idéologie du « gagner plus ». Le curseur de la possession décale, alors, toujours, celui de la frustration. La frustration celui de la violence ressentie puis banalisée. Le poison libéral gagne surement les cœurs. Etre ou avoir. Etre ou paraître. L’homme cède surement aux totems libéraux, à leur médium comme la télévision. Même la désespérance aujourd’hui a un coût. Ne voit-on pas, à ce moment de casse des entreprises, les ouvriers non pas lutter pour la survie de leur emploi, mais pour empocher la prime de départ la plus sonnante. La classe ouvrière est morte. L’esprit collectif a été miné par la religion de l’individualisme. Chacun est seul devant sa progressive réduction vers le maillon faible, au point, comme à France Télécom, de ne trouver solution que dans le suicide.

Alors dans ce jeu de la mort économique, l’autre est devenu transparent, quand il n’est pas le concurrent puis l’ennemi. Dans ce combat pour la survie consumériste, la violence a été intégrée comme une option parmi d’autres.

Alors, faut-il totalement désespérer ? La crise rebrassant les valeurs, on a cru un temps à un changement possible et à retour à la résistance d’un nombre suffisant d’individus pour réimposer un combat pour la dignité de l’homme.

A quel niveau de décharge sommes-nous dans le jeu en cours de la mort de la démocratie.

jeudi 18 mars 2010

le jeu de la mort/1



La télé peut-elle tuer ? Si vous avez regardé « Le jeu de la mort », ce documentaire reproduisant, à travers un jeu télévisé, l’expérimentation scientifique menée par Milgram dans les années 60, vous connaissez la terrible réponse. Mis face à face, pourtant dans une partie sans enjeu, 81% des 80 participants successifs ont « tué » leur partenaire. Il s’agit pour l’un, tiré au sort de retrouver la bonne association de mots après leur visualisation durant une minute, pour l’autre de lui administrer des décharges électriques de plus en plus fortes, allant de 20 à 460 volts, à chaque mauvaise réponse, la graduation de dangerosité des zones de voltage étant parfaitement indiquée. Bien sûr la décharge est à blanc et c’est un comédien qui simule la douleur mais les joueurs l’ignorent. Or, malgré les cris du concurrent dans la zone des 300 volts puis son inquiétant silence dans celle des 400, seulement, donc, 17% ont fait preuve de compassion et acte de résistance. Pourtant la partie ne conduisait à aucune récompense finale, la production leur ayant expliqué qu’ils participaient à un pilote d’émission. A l’issue du jeu, l’équipe de scientifiques, psychologues sociaux, qui avaient aidé à la mise au point de l’expérience a expliqué le froid comportement des « tueurs » par leur soumission à l’emprise télévisuelle, pression de l’animatrice, encouragement du public, environnement déstabilisant, hypnotique pour certains, de l’univers des plateaux.
Bien sûr, l’émission va ouvrir des débats et controverses. Elle a cependant l’intérêt de pointer la lente dérive de la télé commerciale. Même si la France, n’a pas encore succombé au pire, comme la lucarne anglaise, par exemple, on a le sentiment que les verrous moraux cèdent les uns après les autres. Comment expliquer qu’on se rapproche ainsi des jeux romains, de la tolérance de la barbarie ordinaire ? J’y vois l’abandon par le politique de son rôle de gardien de l’éthique humaniste, de favorisation du développement des consciences dans une organisation progressiste de nos sociétés. Le jour où le politique a vendu TF1 à un bétonneur, il a vendu aussi son âme.
La télé n’est jamais en avance sur la société. Elle n’est que son miroir. Depuis des années, le politique a sacrifié son pouvoir de protection, son devoir d’émancipation au vampirisme du monde économique. La télé est devenue le médium de ses messes noires. L’homme moral ne saurait être un ennemi de l’homme consumériste. L’écran est donc devenu la plus grande vitrine à alouettes, le plus miroitant appât à cerveaux disponibles. Du coup, horreur télévisuelle et horreur économique s’épaulent. La part d’audience, ici la part du gâteau, est tolérée comme la résultante logique de la réussite entrepreneuriale. Pas question d’en discuter sa matière première. Le même politique qui, avec raison, s’insurge contre la montée d’une extrême violence, sa banalisation chez les jeunes, ne s’interroge jamais contre son étalage, sa gratuité à longueurs de feuilletons. Seule l’alerte celle du JT et encore plutôt quand elle est dirigée contre ses représentants.
La télé dont la vocation première devrait être l’éducation et l’élévation du citoyen et cela n’implique pas l’ennui, puisqu’elle a su conjuguer, à ses débuts, ces ambitions avec succès, est devenu trop souvent le lieu de son exploitation, de sa dérision, de son abêtissement, de son abrutissement, de son abaissement. La plupart des animations ne visent que l’anesthésie du jugement, l’anéantissement des défenses, ne flattent que le plus primaire de l’individu.
Il est bien tard pour se demander si la télé peut tuer, quand elle a, dans de si nombreuses émissions, depuis bien longtemps, tué l’intelligence. Et malheureusement avec la complicité de la plupart de ceux qui en vivent.

mardi 16 mars 2010

Une liquidation de la réalité



Cette eau n’est pas tout à fait de l’eau.

L’île naine se tient juste dans l’embouchure, face à la mer où deux rivières s’épousent, à droite le Lay, à gauche la Sèvre : et ces épousailles justement sont fécondes en sables, boues, en coques d’huîtres, et de tous rebuts que les rivières calmement arrachent et broient, vaches mortes et chablis, déchets que les hommes jettent par jeu, nécessité ou lassitude, et leurs propres corps d’hommes parfois jetés de même par jeu, nécessité ou lassitude. De sorte que ce n’est pas la droite mer ni le fleuve franc Qu’Eble a sous les yeux, mais quelque chose de tors et de mêlé : mille bras d’eau douce, autant d’eau salée, autant d’eau ni douce ni salée, étreignant mille lots de vases bleue nue, de vase rose et grise nue, de vase rousse, de sable nul, où le diable, c’est à dire rien, va son train. Il est d’ailleurs le seul à pouvoir y mettre le pied, car tout le reste, hommes, chiens, et chevaux, mulots, s’y enfonce en un clin d’œil, dans un suaire de gaz puants. Seules y passent les barges à fond plat qui amènent la pitance des moines, sur les bras d’eau, et encore cette eau est si mince qu’il faut s’aider de grandes perches pour voguer sur la boue. Ce n’est pas la terre, puisque les mouettes crient au dessus des anguilles. Ni la mer, puisque des corbeaux et des milans s’envolent avec une vipère dans le bec…

Ce texte est extrait de « Abbés », livre publié en 2002, absolument magnifique que Pierre Michon a écrit à l’issue d’une résidence dans le marais asséché. Nous sommes en l’an 976, il y raconte à partir de l’île naine de Saint-Michel-en-L’herm, l’arrachement des hommes au chaos originel, c’est-à-dire à la nature informe et muable. Dans ces temps anciens où on démêlait les terres des eaux. St-Michel à quelques kilomètres de l’Aiguillon et La Faute aujourd’hui.



En 1935, devant les paysages semblables de la Hollande, Paul Claudel définissait ce pays comme un espace de préparation à la mer… une anticipation de l’eau par l’herbage…une nappe liquide et végétale où dans les flaques à demi rongées par le point d’un jonc vorace, canaux à perte de vue rectiligne, longs fils brillants qui divisent les polders, l’eau perce et sourd, universelle et l’on s’étonne que le pied encore trouve support dans ce royaume du verre. Au final le paysage Hollandais lui paraissait comme une liquidation de la réalité.

lundi 15 mars 2010

Le chanteur des cimes.



Dur hiver pour la poésie. Jean Tenenbaum dit Ferrat ne verra pas le printemps des poètes, il part la neige Ardéchoise collée à ses semelles. Il part avec la consolation de savoir que beaucoup de ses textes sont indélébilement gravés dans la cire des cœurs. La chanson a sur le poème, grâce à sa charpente mélodique, cette capacité d’inscription quasi immortelle. Bien sûr, quand elle a la qualité du bijou enchâssant parfaitement le fin métal des mots et la ciselure des notes. Passeur fidèle d’Aragon, fils d’un père joailler déporté à Auschwitz, Jean Ferrat avait cette plume d’orfèvre.
L’extraordinaire, c’est qu’alors qu’il avait mis son âme rouge au vert, depuis de longues années, pour fuir le show-fric, préférant les plateaux montagneux aux plateaux télé, les lèvres de deux générations peuvent spontanément refleurir de « La montagne » ou « Ma môme » et bien d’autres petites merveilles. Grâce d’abord à sa voix, son velours d’arabica au grain brûlant et sensuel, son vibrato posé comme un vol d’hirondelle. Mais une voix ensuite, chantant l’amour, la révolte ou l’Histoire toujours sur la même longueur d’onde que l’âme populaire, celle du front. Communiste au sens littéral, communard serait juste, Ferrat chantait pour la classe ouvrière, élever sa conscience, entretenir son esprit de résistance. Il chantait avec la volonté de tirer l’humanité vers le haut.
Jean Ferrat était un homme libre, à l’engagement viscéral mais ailé, soucieux de sauver l’Homme de la nuit et brouillard.


Ma France



De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirais pas d'écrire ta chanson
Ma France

Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstinée de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France

jeudi 11 mars 2010

Lundi des patates, Mardi des patates...


Après la joie détournée par Bmw voilà la patate emblématisée par France-Télécom. Décidemment les publicitaires ont l’imagination au pouvoir. Faut dire qu’ils ont eu, encore une fois, le sniff creux. Une telle pub polluant tous les magazines, quelques jours après la décision de la Commission Européenne autorisant la culture par Basf d’une pomme de terre génétiquement modifiée, ne peut que redonner la patate aux salariés de l’entreprise. Finis tranxène, xanax et autres remèdes à l’empoisonnement du stress, voilà la chimique Amflora.

Faut-il rappeler que le fleuron de la communication et de la relation humaine a connu, (commis ?) 32 suicides sur 2008 et 2009 et déjà 5 en 2010 ? de salariés qui en avait, sans doute, gros sur la patate.

A moins que ce soit, de la part des publicitaires, une prescription poétiquement sublimée. Un éloge en sorte de la patate.


Peler une pomme de terre bouillie de qualité est un plaisir de choix. Entre le gras du pouce et la pointe du couteau, tenu par les autres doigts de la même main, l’on saisit, après l’avoir incisé, par l’une de ses lèvres ce rêche et fin papier que l’on tire à soi pour le détacher de la chair appétissante du tubercule…

Le léger bruit que font les tissus en se décollant est doux à l’oreille, et la découverte de la pulpe comestible réjouissante.

Il semble, à reconnaître la perfection du fruit nu, sa différence, sa ressemblance, sa surprise, et la facilité de l’opération, que l’on ait accompli là quelque chose de juste, dès longtemps prévu et souhaité par la nature, que l’on a eu toutefois le mérite d’exaucer…

Reste ce bloc friable et savoureux, qui prête moins qu’à d’abord vivre, ensuite à philosopher.

Extrait de « Pièces » de Francis Ponge


On a acheté des pommes de terre. Elle les vend cinquante centimes le kilo, elle ne sait pas traiter ses affaires. On papote un peu, elle relance la conversation quand on monte dans sa voiture : on a du mal à partir, avec elle. Elle nous fait signe longtemps de la main pour dire au revoir : au loin on a déjà germé dans l’obscurité qu’elle ne connaît pas.

Extrait de « Une femme de ferme » de David Dumortier.


Vous pouvez aussi aller sur le site de Jean Foucault, le poète conservateur de la patate.

mercredi 10 mars 2010

Sur la pointe des mots



Sur la pointe des mots, les poètes s’en vont sans déranger les médias. Sans doute très très peu de journalistes sacrifieront quelques lignes pour évoquer le grand départ de Gabriel Cousin le 19 février, après celui récent de Serge Wellens. Pourtant il a belle œuvre derrière lui, une vingtaine de recueils de poésie et une quinzaine de pièces de théâtre, du temps du Grand TNP de Jean Vilar. Pourtant cet ancien ajusteur, entré à l’usine à 13 ans, cet ancien très grand sportif spécialiste des 400 et 800m, ce militant de la cause humaine, compagnon de René Dumont, avait tracé un sillon poétique très original, se moquant des jeux formalistes de nombreux courants souvent sclérosants.
C’est Michel Baglin qui avait préfacé « Dérober le feu » paru en 1998 Au Dé Bleu, qui, à mon sens, définit le mieux son travail : Sa poésie n’est pas celle de quelqu’un qui se cherche au travers de ses différents visages, comme il est fréquent dans un univers social qui morcèlle, fragmente, réduit l’individu. Elle laisse au contraire l’impression d’un homme qui s’accomplit en s’unifiant et fait bloc parce qu’il fait front. Ce qu’il a vécu, subi, et contre quoi il s’est battu paraît l’avoir rassemblé, avoir densifié son être et sa parole...Le corps, qui devient chez lui support de valeurs, est une donnée première…Il cultive sa gourmandise du palpable, du biologique, du palpitant, érotise son rapport à l’univers : Toute vérité, comme toute émotion, pour lui est incarnée.
Lui-même disait : Le poème est un acte charnel, sensuel et émotionnel, avant d’être une production cérébrale.
Alors lisons celui qui, jeune ouvrier, avait dérobé le feu, en achetant son premier livre.

La grande librairie

Après avoir hésité longtemps, j’avais choisi la
plus grande pour être moins remarqué.

Jeune ouvrier, il m’avait fallu tant de courage
Pour oser entrer.

Comme un voleur, j’achetai mon premier
Livre au rayon occasions.

Je dérobais le feu.

La chaleur de son corps


Je rêvais appuyé sur ma table, lorsqu’elle vint
Par derrière et me prit dans ses bras.

La chaleur de son ventre sur mes reins, le
Moelleux de ses seins contre mon dos, le désir
de ses mains sur ma poitrine m’envahirent.

Son souffle s’effilait sur ma nuque. Son cœur
Résonnait et se confondait avec le mien.

Nos corps devinrent vivants
Bien plus tard, alors que le travail me harcelait
que la ville me piégeait et que la fatigue
s’épanouissait comme une ivresse, je sentais
encore son corps moulé au mien.

Cela me réchauffait sous la pluie comme un
Soleil posé sur mon dos.

Première rencontre


Un après-midi où l’hiver marchait encore sur
les pavés de la rue, j’aperçus dans l’équipe
féminine de basket, une inconnue.

Un jeune bouleau frémissant de ses premières
feuilles, une tête vive sous un petit bonnet.

Le soleil entrait dans son sourire. Le rire
sortait de ses yeux. Elle avait les jambes fines
et les mains fuselées.

Je demandai son nom. Nos regards se croisèrent.

Peu après je partis pour la guerre.

Elle n’est plus sortie de ma vie.

dimanche 7 mars 2010

Les versets de la bière


Non filtrée, Hoegarden Grand Cru est refermentée en bouteille. Elle y développe une couleur pêche voilée, un arôme velouté, une douce saveur en nuances subtiles. Conservez cette bière vivante dans un endroit sombre, de préférence sur pied. Servez à 6° C.

J’ai sur la table le dernier Lucien Suel aux éditions Le dernier télégramme, « Les versets de la bière » et déjà je salive. Bien calé dans la moleskine, je plonge d’abord le nez puis l’œil, enfin les lèvres dans la mousse. Je commence lentement à déguster. C’est un objet particulier, journal de bord d’écumes d’un poète, avec ses fragments de vie et ses briques d’aphorismes. Un objet à la Suel, patiemment composé avec ses contraintes numériques équilibrant belle longueur en bouche.

156 pages pour brasser vingt ans. Alors chaque année est cristallisée en quelques notations autobiographiques et relevés de sentences, sorte de brèves de bière existentielles. Car le fin amateur de cet élixir de derrière les houblons nous entraine aussi dans une douce euphorie poétique simplement dans la déclinaison gourmande des nombreuses variétés qu’il décapsule au fil de ses versets.

Tongerlo blonde : une bière aux teintes cuivrées, à l’arôme de miel, moelleuse et pleine de saveur, douce en fin de bouche. Ingrédients : eau, malt d’orge, maïs, houblon, sucres, levures, épices. Refermentée en bouteille, bière d’abbaye, Anno1133.

Pour son bloc autobiographique, Lucien Suel a fait le choix des petits silex migrateurs de son chemin poétique, laissant sur le côté les sillons d’une vie intime déjà légèrement entrouverts dans son premier roman par le truchement du jardinier : Année 1987, matière créée par la forme. Amour créant le monde. Poésie et action. Ivar Ch’Vavar me demande un poème en hommage à Benoît Labre…1989, lancement de la revue « Moue de veau », revue dada de déchets…1991, je suis tristement moderne, ça m’amuse. « Prose du ver » avec des illustrations de Dominique Leblanc…1994, longue discussion avec le peintre Gareth Davies. Rencontre avec Christophe Tarkos…1996, lecture du roman de Jouve « Paulina 1880 »… 2003, je commence à écrire « Mort d’un jardinier »…quelques extraits significatifs de son parcours où il nous livre l’essentiel de ses jardinages d’encre, de ses rencontres poétiques, de ses lectures, de ses dérives littéraires, de ses interventions musicales, nous permettant de saisir l’intensité de sa démarche créative.

Cette bière se nomme la Choulette comme la balle de bois utilisée jadis dans le jeu de crosse, un des nombreux jeux traditionnels du Nord de la France. A une température de 10°, vous découvrirez la finesse de son amertume.

Le bloc « aphoristique » éclaire l’homme celui qui trempe son doigt dans la terre. On est dans le jardin profond de celui qui écrit : Le jardin exprime le désir humain de vivre au centre du monde, au cœur de la réalité. On y côtoie le moraliste, le résistant, le poète. On y entend celui qui descend au fond de l’existence bien armé d’humour noir ou absurde. Celui qui écrit : Je marche vite : la joie et la création sont mes deux jambes ou je suis serviteur de l’imaginaire et de ceux qui le servent. Alors on se régale à ce genre de formules : La terre tourne dans le sens du vent…L’ombre du journaliste couvre l’évènement…Le renard est rusé comme un homme…On vocifère dans le consensus…Solidarité internationale :Les fruits de la croissance et du pillage du tiers-monde doivent être répartis équitablement…On milite pour un monde plus chose…On adopte un point de vue extraordinaire…Je vis une époque de barbarie réfléchie…Plus les gens sont libres plus ils font la même chose…Un griot ne mange pas nécessairement des cerises…La poésie doit être faite par toux non par éternuement…Il est plus tard qu’on ne pense…

Brugse Tripel, bière vivante refermentée en bouteille. La triple de Bruges est la bière des Brugeois par excellence. Caractère malté bien trempé, touche de houblon parfumé, grande complexité de goût. La déguster vous fait découvrir le côté raffiné de Bruges.

Vous l’avez compris, ce livre original charpenté pour la soif, offre le plaisir des grands crus.

vendredi 5 mars 2010

blues de l'huitre

























ce week-end à La Guittière (85)
l'eau n'était pas bénite
dans les bénitiers de nacre.

lundi 1 mars 2010

Blues de la vigilance rouge




















Quel orgueil de maître

Nous a ainsi enhardis

Contre le muscle terrestre

La cadence du souffle


Quel impudent commerce

Cassant les encolures

Sur nos prises avides

Nous a ainsi éloignés


Quel cœur insouciant

Nous a ainsi désaccordés

Des mélancolies marines

Des dérobements sauvages


Quelle vision de maître

A disjoint nos langues

Arraché de nos forces

La vigilance native.