jeudi 18 mars 2010

le jeu de la mort/1



La télé peut-elle tuer ? Si vous avez regardé « Le jeu de la mort », ce documentaire reproduisant, à travers un jeu télévisé, l’expérimentation scientifique menée par Milgram dans les années 60, vous connaissez la terrible réponse. Mis face à face, pourtant dans une partie sans enjeu, 81% des 80 participants successifs ont « tué » leur partenaire. Il s’agit pour l’un, tiré au sort de retrouver la bonne association de mots après leur visualisation durant une minute, pour l’autre de lui administrer des décharges électriques de plus en plus fortes, allant de 20 à 460 volts, à chaque mauvaise réponse, la graduation de dangerosité des zones de voltage étant parfaitement indiquée. Bien sûr la décharge est à blanc et c’est un comédien qui simule la douleur mais les joueurs l’ignorent. Or, malgré les cris du concurrent dans la zone des 300 volts puis son inquiétant silence dans celle des 400, seulement, donc, 17% ont fait preuve de compassion et acte de résistance. Pourtant la partie ne conduisait à aucune récompense finale, la production leur ayant expliqué qu’ils participaient à un pilote d’émission. A l’issue du jeu, l’équipe de scientifiques, psychologues sociaux, qui avaient aidé à la mise au point de l’expérience a expliqué le froid comportement des « tueurs » par leur soumission à l’emprise télévisuelle, pression de l’animatrice, encouragement du public, environnement déstabilisant, hypnotique pour certains, de l’univers des plateaux.
Bien sûr, l’émission va ouvrir des débats et controverses. Elle a cependant l’intérêt de pointer la lente dérive de la télé commerciale. Même si la France, n’a pas encore succombé au pire, comme la lucarne anglaise, par exemple, on a le sentiment que les verrous moraux cèdent les uns après les autres. Comment expliquer qu’on se rapproche ainsi des jeux romains, de la tolérance de la barbarie ordinaire ? J’y vois l’abandon par le politique de son rôle de gardien de l’éthique humaniste, de favorisation du développement des consciences dans une organisation progressiste de nos sociétés. Le jour où le politique a vendu TF1 à un bétonneur, il a vendu aussi son âme.
La télé n’est jamais en avance sur la société. Elle n’est que son miroir. Depuis des années, le politique a sacrifié son pouvoir de protection, son devoir d’émancipation au vampirisme du monde économique. La télé est devenue le médium de ses messes noires. L’homme moral ne saurait être un ennemi de l’homme consumériste. L’écran est donc devenu la plus grande vitrine à alouettes, le plus miroitant appât à cerveaux disponibles. Du coup, horreur télévisuelle et horreur économique s’épaulent. La part d’audience, ici la part du gâteau, est tolérée comme la résultante logique de la réussite entrepreneuriale. Pas question d’en discuter sa matière première. Le même politique qui, avec raison, s’insurge contre la montée d’une extrême violence, sa banalisation chez les jeunes, ne s’interroge jamais contre son étalage, sa gratuité à longueurs de feuilletons. Seule l’alerte celle du JT et encore plutôt quand elle est dirigée contre ses représentants.
La télé dont la vocation première devrait être l’éducation et l’élévation du citoyen et cela n’implique pas l’ennui, puisqu’elle a su conjuguer, à ses débuts, ces ambitions avec succès, est devenu trop souvent le lieu de son exploitation, de sa dérision, de son abêtissement, de son abrutissement, de son abaissement. La plupart des animations ne visent que l’anesthésie du jugement, l’anéantissement des défenses, ne flattent que le plus primaire de l’individu.
Il est bien tard pour se demander si la télé peut tuer, quand elle a, dans de si nombreuses émissions, depuis bien longtemps, tué l’intelligence. Et malheureusement avec la complicité de la plupart de ceux qui en vivent.

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