jeudi 22 avril 2010

Ballade Islandaise



Dans son roman Voyage au centre de la terre, Jules Verne avait fait d’un volcan islandais le Snaefells, l’entrée vers le centre de la terre.
Dans leurs futures longues veillées, les 320000 Islandais vont sans doute bien se secouer la dorsale en se repassant ce bon tour joué par quelques elfes noirs ou nains de leur mythologie revenus tisonner les entrailles de leur île, clouant au sol comme fragiles insectes les rutilantes carlingues du ciel européen. De leur capital économique, parti en fumée avec la crise, au nettoyage abrasif de l’aérien, on sent dans ce grain de terre comme la volonté d’être le futur grain de cendre écologique et poétique dans la machine européenne dont il brigue l’adhésion.

Le soleil réchauffe le corps blême de l'homme, en même temps que la neige qui craque avec un bruit feutré : l'homme est l'oiseau du jour. Sjön

Poétique, un dicton populaire dit même que « derrière chaque islandais se cache un poète ». Don rattaché encore à la mythologie et à la fabrication de l’hydromel par deux nains, Fialar et Galar puis avalé et recraché par le géant Odin, l’Obélix local de la potion poétique. La poésie islandaise en pleine activité souffre de la difficulté de sa traduction. Eyjafjöll ou Eyjafjallajökull, joyeux noms respectifs du volcan et de la calotte glaciaire à l’origine de l’actuelle crise de nerfs voyagiste, râpent, évidemment, un peu plus la langue que les quatre seuls mots passés dans la langue française : geyser, eider, saga et édredon. Edredon, quelle douceur nuageuse dans ce monde de kérosène.
Mais revenons à nos moutonnements poétiques, riches de trois courants, l’eddique, le scaldique et …l’atomique. Ce nom faisant référence à la cassure imposée par une nouvelle poésie islandaise plus moderne.


Pourquoi
coudre un nom
dans son cœur ?

Chaque piqûre
s'accompagne
du sang chaud
d'espoirs refoulés

chaque point
d'une douleur nouvelle

Ágústina Jónsdóttir

Regarde le glacier,
il se dandine dans le bleu
comme un ours blanc qui traverse le monde.

Einar Már Guðmundsson

Dans les Joncs d'un étang
une jeune fée, triste, reste assise
avec sur son genou
un rayon de lune, tel un enfant mort.

Hannes Pétursson

Si j'avais un voilier bleu
alors
dès aujourd'hui
je partirais
Pour pouvoir
au plus vite
revenir
ici

Isaak Harðarson

lundi 19 avril 2010

Sur le fil D’Hölderlin

Tirant opportunément sur mon fil d’avril, mon ami photographe Michel Godeau me rappelle aux vers de Friedrich Hölderlin flânant le long des quais de la belle Garonne. Du 28 janvier au 10 mai 1802, le grand poète allemand fera un très court séjour à Bordeaux, comme précepteur au service du consul de Hambourg. Atteint par un début de démence, il regagne, en effet, très vite l’Allemagne en nous laissant cependant ce magnifique poème Andenken :


Du nord-est souffle
Le préféré entre les vents
Pour moi, car esprit enflammé
Et bonne route promet-il aux marins.
Mais va maintenant, et salue
La belle Garonne,
Et les jardins de Bordeaux
Là-bas, où sur la rive escarpée
S’éloigne le sentier et dans le fleuve
Tout au fond chute le ruisseau, mais par-dessus
Regarde au loin une noble paire,
Chênes et peupliers argentés ;

Encore m’en souvient-il bien, et comment
De la forêt d’ormes s’inclinaient
Les larges cimes au-dessus du moulin,
Mais dans la cour pousse un figuier.
Aux jours de fête vont
Les femmes brunes, là même
Sur le sol soyeux,
Au temps de mars,
Quand égaux sont nuit et jour,
Et au-dessus des lents sentiers,
De rêves dorés alourdies,
Filent les brises qui nous bercent.

Mais que l’on tende,
Pleine d’obscure lumière,
Vers moi la coupe odorante,
Afin que je puisse me reposer ; car suave
Serait sous l’ombrage le sommeil.
Il n’est pas bon
D’être l’âme vide de pensées
Mortelles. Pourtant est bon
Un dialogue et de dire
Le sentiment du cœur, d’entendre maintes choses
Des jours de l’amour,
Et des exploits qui s’accomplirent.

Mais où sont les amis ? Bellarmin
Avec le compagnon ? Plus d’un
Ressent la crainte d’aller à la source ;
Elle commence en effet, la richesse,
Dans la mer. Eux,
Tels les peintres, rassemblent
La beauté de la terre et ne méprisent
Pas la guerre ailée, et
D’habiter seul, à longueur d’année, sous
Le mât défeuillé, où la nuit n’est pas traversée par l’éclat
Des jours de fête de la ville,
Ni par celui du luth et des danses indigènes.

Mais maintenant pour les Indes sont
Partis les hommes,
Là-bas par la pointe venteuse
Des vignobles, où va
Descendre la Dordogne,
Et s’unissant à la somptueuse
Garonne large comme la mer
Se jette le fleuve. Mais il prend
Et donne la mémoire, l’Océan,
Et l’amour aussi attache assidûment les yeux,
Mais ce qui demeure, le fondent les poètes.

samedi 17 avril 2010

Le fil d'avril



Dans les toutes premières bouffées d’avril 2009, débarquant de « L’escale du livre », j’avais étiré mes pas vers l’envoutant Parc Floral de Bordeaux, pour y découvrir l’éveil du printemps, l’éclosion des verts tendres, l’enneigement des cerisiers, les brûlures rouges ou violettes des camélias et rhododendrons.

Un an après, c’est à nouveau cette cité qui dénoue mes pas, me coupe d’une longue et douloureuse immobilisation discale, m’offre à lire et relire les craquements printaniers, à mêler mon haleine à leurs exhalaisons.

J’étais, depuis des mois, le « passant immobile », tronc soudé sous terre, privé d'aller au petit bonheur, de rapprocher le monde, d’y circuler pour tout voir et sentir, de toucher la robe des choses. Depuis des mois, j’avais les yeux trop grands pour les jambes.

Un an après, dans cet avril, je retrouve le fil de l’espace, cette capacité à conquérir le monde au coin de la rue, à rencontrer le battement de l’autre.

« Le mouvement dans le temps ou dans l’espace est un acte de résistance au trépas : nous bougeons afin de demeurer. » dit Alberto Manguel.

Bien sûr, dans tous ces mois de bois, quand j’étais arbre, j’ai bougé au vent des feuilles, au chant des becs. J’ai fait de beaux voyages, noirci de belles traversées. Bien sûr les déplacements immobiles de la lecture ou de l’écriture nous donnent des ailes, nous chaussent de bottes traversières. Nous franchissons des taupinières comme des montagnes. Nous allons à dos de vertèbres noires, sur des syllabes ailées au cœur de tous les royaumes. Bien sûr nous courons sur la peau tendue de la terre.

Mais comme meunier à quai du fil de l’eau, meunier attaché à ses voiles, nous écrasons la semence, nous enfarinons le ciel en enviant le pas souple du semeur dans les lignes ouvertes des pages neuves.

lundi 5 avril 2010

Il pleut sous nos képis




Très réservé sur l’humain en général, je m’en méfie particulièrement quand il arbore uniforme. Et depuis le Vel d’hiv, les ratonnades d’octobre 61, les lacrymogènes de 68 ou les morts de Villiers-le-Bel, je ne suis guère gendarmophile. Sinon dans l’esprit du Brassens d’Hécatombe. Mais l’habit ne fait pas toujours le guignol. Dans chaque groupe gambadent quelques moutons blancs. Là je veux honorer deux pandores qui sortent positivement du rang. Le premier, Jean Yves Mattély vient d’être radié pour avoir osé publiquement critiquer le rapprochement police-gendarmerie. Le second, dont on ignore le nom, pour l’instant, vient d’être soumis à une procédure disciplinaire, pour avoir publié un poème de soutien au premier. Imaginez, un gendarme le petit doigt sur la plume, vous interpellant en alexandrins. Un képi entre deux alcooltests lisant Victor Hugo, de quoi brûler le premier feu rouge pour le plaisir de l’oreille. Je plaisante mais il faut un sacré courage dans ce monde du silence ou même les vers ne sont pas libres. Rappelons que les gendarmes assimilés à des militaires, contrairement aux policiers, sont astreints à une totale obligation de réserve, autrement dit à la fermer .Alors je ne peux que saluer cet acte de résistance poétique.

Extraits :

IL PLEUT SOUS NOS KÉPIS !

…L’un des nôtres osa parler sans démériter,
Se faisant ainsi le râle de notre douleur…
Il fût vite éliminé par ces fossoyeurs !

Aujourd’hui, Sainte Geneviève saigne et pleure,
Je sens bien ses larmes chaudes sous mon képi,
Comme si sur moi SARKOZY faisait son pipi…

Soldats nous sommes, et c’est debout que nous mourrons.
Et à l’instar de CAMBRONNE, “MERDE” nous dirons.
Nous briserons nos armes, mais nous taire “Pas question !”

Nous ne sommes que des hommes, soldats mais citoyens,
Et nos voix dans l’urne pèsent bien pour un scrutin…
Qu’on les entende ensuite, d’étonnant n’a rien.

Nous taire il ne faut point, surtout si c’est la fin !
Au pays des Droits de l’Homme, on dénie les miens.
Fidèle, loyal je suis, muet je ne suis point.

Même si tout est fini, que prévue est la fin,
Nous n’irons au sépulcre qu’après avoir tout dit.
Geneviève, Chère Patronne, Il pleut sous nos képis !

Adjudant A.

dimanche 4 avril 2010

La chocolaterie des feuillages



Evidemment, ce n’est pas « la ferme célébrités en Afrique ». Mais par ma lucarne élue, ma fenêtre, j’ai eu le privilège, de suivre, pendant plusieurs jours, la nidification d’un couple de pigeons dans un sapin de mon jardin.

Perte de temps de plouc, jugeront certains, poésie de ringard, parisianiseront les autres qui leur marchent dessus. Oui j’ai été pigeonné par l’édification, au creux d’une fourche, de cet esquif de brindilles ardemment tranchées par le mâle et amoureusement cimenté par la femelle.

Et hier, au pied de l’arbre, j’ai ramassé un œuf blanc, découpé en son milieu. C’est mon oisillon de pâques qui est venu crécher sur ma terre, et qui, j’aime cette idée, lui, vraiment, m’apportera le ciel.

Gamin, je n’ai pas connu la chocolaterie des feuillages. Je n’ai croqué que dans du dur, de la vrai tablette noire avec les images collées sur le papier argent. Chez moi, on était plus près de la croix que des douceurs. Alors, quelle joie j’ai éprouvée, aux premiers œufs que j’ai camouflés, pour mes filles, dans la verdure.

Au quatrième siècle, l’église avait proscrit la consommation des œufs de poules, pendant le jeûne du carême. A Pâques, les œufs pondus et non mangés dans cette période, étaient décorés et offerts. Aujourd’hui, les palais vont gober œufs, poules, lapins ou cloches, précieusement enveloppés et enrubannés.

Parodiant Fernand Reynaud, cette année, j’aurais la chance de goûter l’œuf cassé de mes pigeons et l’œuf pas cassé, qui brillera, sans doute, à la fin du repas.

samedi 3 avril 2010

Coup de main au culte



Il est combien difficile, certains jours, de démêler notre courrier de la masse des publicités l’entrelardant. Parfois au sein de cette vulgarité tapageuse, on se laisse prendre par une enveloppe qui bien qu’anonyme, sous cet aspect, nous semble destinée. Souvent astuce de distributeurs automobiles ou d’assurances, jurant promotions plus alléchantes les unes que les autres.
Cette fois, comment résister à la tentation d’ouvrir une enveloppe sur laquelle, tagué en gros caractères rouge et vert, je pouvais lire: « Vous aussi, devenez riche en 2010, de ce que vous donnez ». Enfer et damnation, point de surprise divine, mais à l’intérieur, une invitation à donner au denier de l’église 2010. Dieu me tripote comme disait le vénéré Desproges et oserait aujourd’hui le moindre calotté irlandais. Sonné comme quasimodo à pâques, j’ai, alors, repris l’enveloppe pour y lire plus bas : Amour, espoir, solidarité, compassion…tout ce qui n’a pas de prix a un coût .Voilà belle parole d’évangile à multiplier les petits pains et qui ressemble au fameux : un cheval bon marché est rare donc…mais qui peut rapporter gros.
Amour, espoir, solidarité, compassion, ont donc, pour l’église, un coût. Sans doute celui de ses chastes serviteurs qui ont, aussi, fait vœu de pauvreté. Mais ne faisons pas la fine âme. En ces temps de crise de foi dans notre bon vieux libéralisme, vers qui nous retourner et nous pencher sinon l’église qui est bien la seule à avoir cette capacité à embrasser tous les humains et les couvrir de ses largesses. C’est, en tout cas, ce que Monseigneur Castet, digne successeur de Richelieu, n’hésite pas à prêcher dans cette très pastorale brochure: Aujourd’hui dans nos vies, qui nous donne encore du sens, de l’espoir C’est plus que jamais la mission de l’église, une mission dont la valeur est inestimable, mais qui a un coût.
Charité bien ordonnée, il faut bien vivre. Et dans le monde de la libre entreprise tous les coûts sont permis. Cette fois, l’église a voulu réveiller les consciences en commandant à Euro RSCG une campagne bien sonnante. On a pu voir, ainsi, fleurir, pendant des semaines, des centaines de panneaux 4mx3m reprenant et jouant avec les codes de la publicité discount au service d’une société consumériste, où l’argent occupe tout le cerveau. Un détournement de ses veaux d’or …vers des paradis plus discrets.
Car, l’enjeu en vaut le cierge. Ainsi apprend-on que les 650000 euros versés aux marchands du temple publicitaire par les neuf diocèses de Bretagne et Pays-de-Loire ne représentent, en réalité, que 4% des recettes escomptées par cette campagne. Je vous laisse faire le calcul. C’est ce qui s’appelle recevoir au centuple. Là les deniers ne sont pas les derniers. Les voies du seigneur ne sont decidemment pas toujours impénétrables…enfin il faut devenir prudent sur la question. De quoi me faire botter le culte.

jeudi 1 avril 2010

Blues du poisson d'avril




Je n’irai plus en enfance
Je sais que le loup y est
Je n’irai plus dans ses jeudis
Echanger mes billes de terre
Contre des timbres Leroux.

Je n’irai plus en enfance
Je sais que la nuit y est
Je n’irai plus goûter la chair
Pêcher au bord du cœur
La langue réglisse.

Je n’irai plus en enfance
Je sais que la mort y est
Je n’irai plus dans son avril
Chatouiller le gai grillon
Effeuiller le soleil fou.

Je n’irai plus en enfance
Je sais que vous y êtes
Je n’irai plus agneau béni
offrir mon âme sauvage
A l’hameçon de vos croix.