lundi 30 décembre 2013

dimanche 22 décembre 2013

jeudi 12 décembre 2013

J’ai 11 ans / 17/





Le car nous a laissé sur une place hérissée de clochers parmi quelques arondes, dauphines et 403. Je traîne derrière Maman qui serre la valise familiale marron qui, avec les années, deviendra ma valise avec mon nom crayonné au bic rouge sur l’intérieur écossais. Les lourds battants d’un porche franchis puis les fers lancéolés d’une grille blanche, nous butons au seuil d’un large rectangle, la cour des petits, apprendrais-je dès le soir, les petits désignant les sixièmes et cinquièmes, un temps cloués, surpris, sans doute, l’un et l’autre pareillement, par la masse intimidante et sourde des façades, nous enserrant soudain et jetant à nos yeux les reflets de dizaines de vitres et vitraux. Un camaïeu de gris sales de l’ardoise éteinte au crépi âgé. Seule perçant cette dévorante grisaille, une galerie vitrée courant tout le long du bâtiment central, m’évoquant avec ses piliers forgés comme une sorte de verrière ferroviaire.
Sur les consignes d’accueil, nous obliquons vers le bâtiment de gauche, pour gravir vers le second étage, derrière d’autres valises, d’autres mamans, d’autres enfants tête baissée, les degrés de pierre d’un large escalier en colimaçon. Alternativement j’agrippe les barreaux noirs et froids et la rampe lustrée pour hisser un petit corps dont le cœur trébuche. Je monte vers le dortoir scrutant furtivement les expressions des familles qui redescendent et surtout les visages de mes futurs camarades d’écrou. Mais je ne croise que la figure fuyante, intimidée et soucieuse de petits endimanchés emboîtant les jupes quand j’aurais été rasséréné de voir l’un d’eux dévaler joyeusement les marches.
Mais je comprends, à l’entrée du dortoir, qu’ils descendent avec la première vision de cette pièce démesurée où s’alignent quatre rangées d’une vingtaine de lits de fer, opposés pied à pied de chaque côté d’une allée tracée par l’étroit chemin d’un tapis usé et fixé sur le parquet noirci, la première vision de chaque couchage recouvert de la même cotonnade frangée aux ramages stylisés et séparé de l’autre par une petite armoire de bois blanc ciré à un tiroir et deux portes. Mais je comprends, devant cet ensemble, qui leur a peut-être évoqué des images de salles communes d’hôpital ou de chambrées militaires, qu’ils redescendent avec ce sentiment d’arrachement de la chambre familiale et d’embarquement dans une solitude et un engloutissement collectif qui, à cet instant, m’étreint.

mardi 3 décembre 2013

lundi 2 décembre 2013

dimanche 1 décembre 2013

J’ai 11 ans / 16 /




A mon retour fin juillet j’ai retrouvé un jardin mangé d’un tiers, la maison prolongée de deux chambres et d’une petite salle d’eau. J’avais ainsi la véritable explication du pour mon bien de mon éloignement. La maçonnerie était l’œuvre d’un oncle, la menuiserie celle de mon frère. Après son mariage, ces chambres seront régulièrement louées pendant l’année scolaire. J’occuperai celle du fond aux vacances.
Ce 15 septembre 60, la Toussaint me parait très lointaine. Je me crispe contre les haut-le-cœur qui me brassent dans l’autocar Chausson qui m’emmène vers l’inconnu. Chavagnes à 70 km, j’ai tout le temps, à côté de maman qui serre une serviette, de mélanger le rire de Monique à la joie radiophonique de Jazy second du 1500 m, le 7 septembre, aux Jeux olympiques. J’ai tout le temps de ne surtout pas imaginer mes lendemains.
J’ai 11 ans, c’est une autre histoire maintenant entre le ciel et moi. Entre le ciel et mes petits îlots de terre. Entre le bon dieu et mes petites diableries. J’ai 11 ans petites ouies prises dans les mailles avec des dizaines d’autres. Joli coup de chalut diocésain cette année-là. Exactement cent nouvelles recrues pour cette rentrée 60. Résultat d’une année baptisée l’année du sacerdoce. Les rabatteurs se frottent les mains ointes. Je suis l’innocent aux mains vides. Je ne me demande pas, encore, quelle conjonction de duperies et flagorneries cléricales, de projection et aveuglement familiaux, de lâchetés amicales m’a arraché du commun troupeau ?








jeudi 21 novembre 2013

Sur le sentier des Poètes



Le samedi 16 novembre, accompagnés de 200 personnes six poètes ont lu leur poème déposé pour deux ans sur une borne posée sur le sentier des poètes , un des trois sentiers de La Meilleraie-Tillay, localisation des éditions Soc et Foc, et seul village labellisé "village en poésie" de Vendée, distinction récompensant un endroit qui distingue particulièrement la poésie dans sa vie culturelle.


jeudi 14 novembre 2013

J’ai 11 ans / 15 /




Cette absence du frère, cet écart d’âge avec la sœur ont forgé un solitaire, un petit dernier asséché et sensible au moindre souffle. Un écorché qui ronge sa ouate et se raconte encore des histoires en ce début de septembre 60. Un qui fait le Jeanjean dans le rayon des jupes, l’autre le Jean-Pierre dans le jardin du père. Qui remémore, entre deux arrosoirs, la victoire de l’Italien Nancini dans le Tour de France et la huitième place d’Anglade.
Cette année je n’ai pas suivi la Grande Boucle avec lui, reporté le vainqueur de chaque étape sur la carte du journal punaisée derrière la porte de la cuisine. Ce juillet on m’a envoyé à la campagne. Pour mon bien, chez une amie de ma sœur à Bourneau. Quelques âmes au bord du massif forestier de Mervent. Lui travaille à la scierie, cultive, à côté, un grand champ de pommiers longé de quelques ruches. Elle tient la maison et le jardin. Je dois partager le lit du fils destiné, lui aussi, à la découpe des grumes. Un ado brut de sciage qui me force parfois la tête sous le drap.
Heureusement il y a Monique d’un an ma cadette, ma squaw à couettes. Nos poursuites en forêt et nos avancées de sioux le long des rails qui ferrent le talus du jardin. Monique ma captive aux yeux noisette, ma prisonnière du dessert. Martine des quatre-heures coco et Suchard. Qui un après-midi écarte dames et nain jaune, s’étend sur le dos. Pions qui roulent, petits chevaux qui se renversent dans ma tête. À cet instant me monte au ventre une odeur de pomme. Un instant où la fascination qui nous divise va trouver son fléau. Dès lors les à quoi on joue ne seront que questions biaisées, invitations à des adorations primitives, à des liturgies secrètes. Nos jeux cachés des grands, comme de la maman qui dit bijou et jésus sous le gant qui nous savonne, avant la messe, dans la bassine du dimanche, porte de souillarde bien refermée sur l’une puis l’autre. Nos jeux avec un feu plus brûlant que les flammes fourchues de l’enfer qui nous tordent ensuite dans les travées de l’église.
Un juillet en pente douce, donc, grâce à Monique ma petite madeleine modelée dans le coton blanc, que je ne reverrai que trois ans plus tard, fondant en larmes.




lundi 11 novembre 2013

samedi 9 novembre 2013

J'ai 11 ans / 14 /



Fin 59, j’ai découvert ce grand frère dont maman nous lisait parfois les lettres, venant de Philippeville, cachetées poste aux armées. Le dimanche, tassé et silencieux près de la cuisinière à charbon, enfoncé encore dans son cauchemar algérien. Celui, qui serrait toujours les dents sur sa guerre au printemps 60 et qui se marierait quelques mois plus tard avec la meilleure amie de ma soeur, m’était comme un personnage de fiction. Un héro mystérieux et lointain qui avait, avant son embarquement à Marseille, remisé une volumineuse malle de bois dans un coin de notre appentis dont le trésor était constitué d’outils précieusement rangés et marqués de ses initiales ainsi que d’une magnifique maquette d’escalier, son chef-d’œuvre.
Ce frère disparu avait fui l’atmosphère familial à mes 5 ans, plaquant la menuiserie de son apprentissage pour rejoindre les compagnons du devoir du tour de France. Allant de patron en patron, de maison en maison, d’Angers à Lyon en passant par Strasbourg et Genève, le pays avait été intronisé aspirant ébéniste, à l’été 56 à Strasbourg, après réception de sa maquette. Sa mobilisation l’empêchera de devenir compagnon. J’étais relié à cet aîné infréquenté par deux autres chefs-d’œuvre : un petit bureau en orme menuisé pour mon quatrième noël et un cheval de bois à bascule chevillé pour mon troisième. Ce dernier livré avec tant d’empressement que je laisserai le fond de ma culotte sur le rouge trop frais de la selle. La mémorable colère paternelle qui s’ensuivra immortalisant l’histoire.

mardi 5 novembre 2013

J’ai 11 ans / 13 /



La tierce fraternelle est au complet dans cet avril 60. Faute de place dans nos trois pièces, ma sœur et mon frère ont leur vie dans les remises blanchies de l’ancienne épicerie mitoyenne. Deux chambres rudimentaires dans le bâtiment grossier, bardé de planches goudronnées, collé à l’arrière de la maison et ouvert sur les deux jardins coupés par une allée de terre.
Ma sœur termine ses cinq années d’apprentissage de linotypiste. 5 ans à apprendre à saisir des lignes-blocs, à surveiller la coulée de l’étain-plomb, à ranger les matrices dans le bon magasin de casse. 5 ans, parfois en chantant, à coller, relier, brocher les ouvrages commandés par l’évêché dont c’était l’exclusive imprimerie. 5 ans, dans une bonne ambiance, mais dans un métier, alors élu pour sa seule protection conventionnelle, assurant dès le début ce bon salaire qui offrait, sans discussion, l’indépendance à celle dont on avait sèchement contrarié la volonté de devenir institutrice.
Celle, de neuf ans mon aînée, que je vois, à peine ce métier en poche, faire brutalement ses valises, au début de l’été, pour rejoindre l’institut hélio marin de Pen Bron au Croisic. L’institutrice contrariée allant s’occuper d’enfants et adolescents polyhandicapés, dans ce centre créé à la fin du 19ème pour accueillir les gamins rachitiques…

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jeudi 31 octobre 2013

Vous avez dit étrange…


Marine Le Pen : "Ne pas payer de rançon ? Un... par Europe1fr



Il y a toujours un moment où le masque tombe. Depuis longtemps, on attendait au virage des mots celle qui s’est fabriquée un visage pour berner le plus grand nombre de gogos. Maligne la descendante avait pigé que la conquête des urnes passait par le lifting des dérapages verbaux paternels. Exit le cuir d’ours du père pour la peau platinée de l’agnelle. Exit les crânes rasés pour les tribuns en robe. Il s’agit depuis des mois pour Marine de relooker digne son parti, lui donner l’apparence d’un parti comme un autre. Au point de poursuivre tous ceux lui accolant encore l’adjectif extrême. Et ça marche. Et ça marchait. On imagine à quel prix de travail sur soi. Mais voilà la nature revient toujours.
Interrogée ce matin sur Europe 1 Marine s’est trahie devant les premières images de l’arrivée hier des ex-otages libérés à Paris : J’ai ressenti un malaise en voyant ces images… les deux qui portaient la barbe taillée d’une manière qui était assez étonnante, l’habillement était étrange… le chèche sur le visage…ça mérite peut-être quelques explications de leur part… ça a laissé, je crois, une impression étrange aux français…
La respectable plutôt que se réjouir de cette libération se focalise sur l’apparence de ces hommes. Barbus, porteur de chèche, comme si elle les assimilait en fait à leurs geôliers. Madame Le Pen, oubliant qu’ils sortaient de trois années d’isolement dans le désert aurait, sans doute souhaité qu’ils apparussent en costume cravate, frais rasés avec béret basque et baguette, en vrais français, comme elle dit, en vrais compatriotes. Une impression étrange…oui d’étrangers en quelque sorte. Peut-être va-t-elle demander leur retour à leur frontière sahélienne.
Nous sommes dans une période critique où l’un caquette dans l’hémicycle, l’autre traite de singe Madame Taubira, où des réactionnaires de la manif pour tous incitent leur enfant à brandir une banane devant ce même remarquable ministre de la justice. Nous sommes dans une période dangereuse où le désarroi de la crise a fait perdre à beaucoup leurs repères moraux. J’espère que ce dérapage, cette fois de la fille, ouvrira les yeux à beaucoup.

J’ai 11 ans / 12 /





J’ai 11 ce printemps 60 sans bougies ni trompettes. Mes rêves ou cauchemars dans le coin gauche de ce qui est aussi la salle à manger. Mes rêveries matinales aussi, avant les grandes orgues dominicales et gothiques, dans la chaleur ronronnante de la Minette cachée sous les draps. En juillet 67, avec la Philips noir et blanc rentrera un canapé fleuri qui détrônera mon lit, alors de vacances. Guy Lux, Anne-Marie Peysson et leur Palmarès des chansons faisant définitivement écran aux nuits partagées avec ma sœur et mon frère dans cette pièce mixte et notre seule chambre.
Tous deux bien plus âgés veillant sur le retardataire. Lui liant même parfois les mains pour qu’il ne se mette pas en lambeaux. temps de fratrie complice éclairée l’hiver par la danse de la flamme bleue de la salamandre à charbon, réchauffée surtout par la plume des édredons ventrus rouge et jaune et la brique molletonnée saisie dans la cuisinière et glissée dans le lit au coucher. J’ai 11 ans dans l’angle tapissé où je dévore Bob Morane et découpe dans le Pèlerin, pour les relier, les pages Pat’Apouf, le détective rondouillard à la mèche gominée, dessiné par Gervy, sorte de Tintin des cathos.





lundi 28 octobre 2013

J’ai 11 ans /11 /




J’ai 11 ans. Je rejoins les copains du quartier par les potagers contigus. Monopoly ou jeu de l’oie. Longtemps, on a tracé dans les allées, des étapes du Tour de France. Fait avancer, à coups de pichenettes, des Anquetil ou Poupou en métal. J’ai 11 ans. Je ramasse en courant, les cartons troués par les carabines, au stand de tir de la kermesse tenu par papa. Sur cette unique photo, sur le fond forestier du théâtre paroissial, je serre le livre de prix de cette fin d’année scolaire. Celui de Jeanjean toujours premier ou second.
J’ai 11 ans. Maintenant à l’orée du gamin. La progéniture qui ne rumine pas d’origine à ses asphyxies bronchiques, à ses démangeaisons et assèchements squameux. Qui ne met pas de genèse sur son empêchement osseux. Qui ne sait rien encore. Je suis Jeanjean qui est ainsi. Allant sa vie avec son boitement de cœur. Fonçant fontanelle première dans des jeudis laiteux. Faisant gaieté de brindilles. S’encoquillant aussi dans des tristesses silencieuses. Cicatrisant dans les bouquins.

dimanche 27 octobre 2013

Des"Dérives immobiles" au "Jardin de mon père"


pendant 2 ans nous avons dérivé Jean-François Bourasseau et moi-même de salles polyvalentes en médiathèques en passant par des librairies ou bibliothèques comme celle de l'Hôpital-Sud pour présenter les œuvres et lire les textes du livre.Un formidable aventure d'amitié dont la dernière étape était Benet. maintenant commence l'aventure de mon nouveau recueil "Dans le jardin de mon père". Premières étapes: La Meilleraie-Tillay le 16 novembre à 20h30 lectures et chansons, Le Salon du livre du Langon le 17 novembre, exposition des œuvres du livre du 01 au 15 décembre avec vernissage et signature les 14 et 15 à la Librairie Arcadie à Luçon, du 10 janvier au 8 février 2014 exposition avec soirée lecture et chansons le jeudi 6 février à la médiathèque de Luçon, du 10 février au 10 mars exposition et soirée lecture le 10 mars au "Garage" aux Herbiers, le 7 avril lecture à la bibliothèque de l'hôpital-Sud, le 1 juin lecture à Mouilleron-en-Pareds dans le cadre des journées du jardin.Dates à venir sur la médiathèque de Fontenay-le-comte...

jeudi 24 octobre 2013

J’ai 11 ans / 10 /



Je chipote longtemps sur le sein puis l’assiette. Irrite le père, ouvre un peu plus grand le bec pour le jardinier. Gobe tous les microbes, croît au millimètre de coche en coche sur la porte. J’ai mis la terre sous l’édredon. Je vois le jaune souci dans la cuvette, j’entends souvent maman coton rendre dans le jardin. Poussées d’eczéma et étouffements d’asthme contre ses torsions de bile, le corps traduit fidèlement nos âmes liées, malgré tout, depuis le début de l’histoire. Quand s’ouvre le ventre.
Avant, avant encore quand l’héroïne tombe enceinte. Tombe de haut et que ça tombe mal et même si le pépin tombe des nues. M’a manqué son rêve. Il nous faut une histoire, avec un petit h, qui taille dans les bois, une histoire de poucet ou de pinocchio. Un il était une fois qui nous donne des bottes de sept lieues. Une chanson de gestes, une chanson d’amour. Il nous faut un rêve qui entaille un cœur sur l’écorce terrestre. Il nous faut un conte à dormir debout pour rire de l’ogre.

dimanche 20 octobre 2013





extrait de "Dans le jardin de mon père": textes Jean-Pierre SAUTREAU illustration CAMELUS publié aux Editions Soc-et-Foc

jeudi 17 octobre 2013

Quand mon verre est aux trois quarts vide.



J’ai toujours eu tendance à voir plutôt le verre à moitié vide. J’ai une facilité déconcertante à désespérer de l’Homme. J’ai toujours trouvé que vivre était un foutu métier dans un monde de bipèdes qui ne songent qu’à s’entrebouffer.
Et puis parfois me revient un chouia d’espérance. Je capte une lueur dans la jungle des neurones et la grande disponibilité des cerveaux. Ainsi c’est, avec un étonnement presque jouissif, que j’avais découvert avant-hier, à travers un sondage, que 82% des français avaient une mauvaise opinion des bleus, de l’équipe de France de foot, joueurs trop payés, individualistes, grossiers…
Mais, à peine séduit par ce surprenant éclair de lucidité et prêt à retourner mon regard sur la contenance du verre mesureur d’humeur et y ajouter des larmes d’optimisme voilà que me surgit du robinet de l’info le visage de Léonarda, la petite kosovar reconduite à ses anciennes études. Et autour les palabres acides et accusatrices d’un certain nombre de camarades du camarade Manuel. Ce qui aurait pu ajouter à mon retour d’optimisme, quand je déchiffre, à travers leurs propos, que leur indignation ne repose pas sur le fond, soit l’expulsion, mais sur la forme, plus exactement le lieu, un car partant en voyage scolaire.
Autrement dit une arrestation à domicile et reconduite à l’aube les auraient laissés de marbre rose mais une telle opération dans le sanctuaire scolaire devient crime de lèse dignité humaine.
Belle étalage d’hypocrisie qui ce matin me conduit à voir le verre aux trois quarts vide.


mercredi 16 octobre 2013

J’ai 11 ans / 8 /



Alléluia je suis donc là, fruit d’une communion pas très solennelle. L’accident. Embardée suite à conduite divine en état d’ivresse. Je suis là, à la place du vivant, de l’autre côté des étoiles. Le fruit d’un furtif missionnaire un soir d’août 1948, celui peut-être de la victoire de Zatopek sur le 10000 mètres aux jeux olympiques de Londres. Ou de la médaille de bronze de l’athlète Vendéen Gilbert Prouteau en poésie. Je passe la tête dans une France victime d’une longue sécheresse et qui déchire enfin ses tickets de rationnement.
Je fais boom, intègre le cercle des Jean et Marie quelque chose. Jean-Pierre, Jean-Jacques, Jean-Paul, Marie-Claire, Marie-Françoise, Marie-Christine et compagnie paroissiale, ces associations à la mode catholique piochées dans le terreau des évangiles, des martyrologes ou racinées dans la symbolique chrétienne. Ces accolements de la grande pieuvre ecclésiastique. Je suis donc là dans cette première goulée d’air béni, avec mon rot à dire dans l’aigreur maternelle tue et mon trou à faire dans l’éternité.

samedi 12 octobre 2013

La clef des songes.




Elle se réveille parfois en sursaut et son sursaut me réveille. A la lisière, sans doute, d’un mauvais rêve dont elle ne saura rien me dire au milieu de son bol de thé. Corps contre corps, souffle contre la nuque de l’autre, main sur sa hanche, la nuit, malgré tout, nous sépare, creuse entre nous des étendues d’ombre, nous enlève au temps de l’autre. Nous entraîne à l’envers du miroir. Nous écrit d’autres pages.
Le jour nos fugues ne sont que rêveries. De brèves déchirures dans la trame. Rien du court-circuit des ténèbres. Un plomb qui saute à la pendule pour suivre la boule d’un pissenlit, attraper le pompon d’un petit bonheur. Au final le jour est désespérément terre à terre et contrairement à la nuit ne nous offre qu’une vie. On dit du chat qu’il a neuf vies mais le chat dort jusqu’à quinze heures. La queue du chat la clef des songes.

sur tableau de Jean-François Bourasseau


vendredi 11 octobre 2013

Roms objets de tous les ressentiments.




Hier à Lille de nouveau et en région parisienne 2 camps de Roms étaient démantelés. Il n’est pas, en effet, question d’évacuation mais de démantèlement, de réduction à néant comme le traduit le dico, en miettes, d’écrasement. Et ce mot est l’exacte traduction des images montrant, derrière ces enfants poupée de chiffon à la main et ces femmes serrant une bassine de pauvres vêtements, l’acharnement des pelleteuses sur les caravanes miteuses et les maigres objets éparpillés dans la boue. Et on peut lire que 8 français sur 10 approuvent cette barbarie ordinaire dont, sans doute, beaucoup ont chanté et chantent sans honte « ma France » de Jean Ferrat. Comment expliquer que cette population qui ne chiffre que 15000 individus soit ainsi l’objet d’un défouloir haineux collectif ? Le comportement délictueux de certains justifie t-il la condamnation de tous ? Il semble qu’on soit plutôt dans le rejet quasi génétique, dans l’exclusion culturelle. De tous temps, souvent pour son nomadisme, cette population a été stigmatisée. 6000 ainsi internés sur le territoire français pendant la dernière guerre.
Aujourd’hui ils sont les victimes expiatoires du sentiment d’insécurité des français. Et l’enjeu de la lâcheté des politiciens. La gauche malheureusement renchérissant sur les propos irresponsables de la droite. Tous s’emparant du mot « républicain » pour se laver l’âme et piétinant au passage le mot « fraternité » de nos frontons. Tous jouant dangereusement avec le mot « intégration ». Autant d’actes et de propos poujadistes qui libèrent, au moment des crises, les réflexes xénophobes et dédouanent d’un vote nationaliste et extrême. Alors comment s’étonner qu’un sondage, hier, annonce qu’un quart des français s’apprêterait à voter pour le FN aux prochaines élections européennes…
Ainsi, le 07 octobre, sans qu’aucun média ne s’en soit offusqué, l’héritière frontiste a pu déclarer, à la suite du résultat de la cantonale de Brignoles : « Le PS vient immédiatement au soutien de l’UMP. On se demande s’ils ne devraient pas fusionner…Moi je leur propose le nom d’un nouveau parti : le ROM, rassemblement des organisations mondialistes ». Horrible jeu de mots qui revient donc comme un boomerang vers ceux qui ont pris cette communauté comme bouc émissaire de leur incompétence et de leur indignité.

mercredi 9 octobre 2013

J’ai 11 ans / 7 /








J’ignore comment papa a vécu cette nidification utérine. Je crois, avec un peu de joie discrète, à travers les marmonnements maternels. Pas le genre à mettre du sel sur ses humeurs biliaires. Je le vois, en ce midi d’avril 49, dans son jardin pendant cette affaire de femmes, tuant son impatience en sarclant ses échalotes grises ou en buttant ses fèves Aquadulce. Peut-être, comme dans les films, fumant roulée sur roulée de son paquet de gris Caporal. Est-il en manque d’amour à donner ce père contrarié ? Arraché de sa paternité pendant cinq longues années.
Avec ce fils laissé alors à quatre ans, dont l’apport des petits bras sur l’exploitation familiale a considérablement élargi la place au soleil maternel. Cet aîné ayant doucement forci contre l’absent. Avec cette seconde, fruit d’une brève permission, dont il ne découvrira le minois qu’à sa libération de camp. Cette gamine qui se réfugie dans les jupes, se cache de cet inconnu, qui n’est qu’os sur peau. Cette fille qu’aucune gâterie, poupée rare non plus, ne sauront ramener à son affection. Deux gamins dont l’Histoire a distendu ou coupé les liens du sang.





dimanche 6 octobre 2013

J’ai 11 ans / 6 /




Maman va sur ses 38 ans quand je perce ce gros ventre dont elle a honte devant ses copines . Sur un cri étouffé. Rien d’un cuivre chanteclair. Un pauvre pépiement de poussin. Visiblement je ne prise guère la douceur de l’air printanier de ce midi d’avril. Je boude quoi, fais le bec sur le téton maternel. A peine pondu que gavé. Sans doute déjà réfractaire à ce prime recrutement incontrôlé, cette croisade chromosomique. Je perçois bien, malgré l’accueil joyeux de mes sœur et frère, que même larve, j’ajoute mon petit fardeau à la balance familiale.
Poids et taille au degré zéro d’une courbe dont l’ombilic sera mon Everest dans une longue course solitaire et époumonée, je suis le fruit tombé des saintes entrailles. Maman, dans cette époque de loterie foetale, choisissant de mettre ce pépin embryonnaire sur le dos du bon dieu plutôt que sur le destin, le pas de chance ou la cruelle nature. Contre cette mauvaise fortune divine, elle s’efforce donc, rétractée dans les draps rêches de faire bonne figure devant l’angelot chétif et croûté d’eczéma. Soyez béni, Seigneur, pour cet avorton qui gigote dans la mangeoire.

mardi 1 octobre 2013

Dans le jardin de mon père


Vient de paraître:




Recueil de 30 textes illustrés par 10 tableaux de Camelus
A commander chez l’Éditeur: Éditions Soc et Foc (voir son site)
ou chez l'auteur: Jean Pierre Sautreau 49 rue de Paris 85400 Luçon
prix: 12 euros+2euros de frais d'envoi.

lundi 30 septembre 2013

J’ai 11 ans / 5






Maintenant elle me fait tourner et retourner sur moi-même dans la blouse montée. Faut un peu raccourcir les poignets. Puis la plie avant de la poser sur la pile s’étageant sur la table, une chemise, douze mouchoirs, 3 slips, 3 flanelles, une culotte courte, 2 longues dont une de velours. Aussi une paire de draps blancs. Quelques morceaux de mon trousseau sur lequel elle va coudre le numéro 550. Chiffre tissé en rouge et garanti grand teint absolu, de fabrication française, extrait d’une petite boîte cartonnée orangée, Pour Pensionnats, Hôtels, Linges de maison.
550, un petit tas découpé en équilibre, mon matricule de futur pensionnaire. A cet instant ce mot n’a pas de contenu. En a-t-il un pour elle ? Tête penchée, l’aiguille contre le dé, elle est fermée sur son ouvrage. Je n’ai jamais trop su découdre ses lèvres, démêler dans son maternage becquées et copeaux d’amour. C’est pourtant, chaque étiquette cousue, le fil de mon enfance qu’elle casse avec les dents.
J’ai déjà détissé les liens du cocon à six ans. 9 mois en sanatorium à Lacaune pour remplumer le moineau. Au bout d’un petit autorail rouge grimpant le Tarn. Quel numéro portait alors mon linge ? Sur la seule photo témoin de cette cassure, je souris tire-bouchonné au pied d’un sapin de Noël, deux cadeaux dans les mains. Etais-je donc si heureux dans ces lettres écrites chaque jeudi ? Maman, parait-il, était fier de ce courrier appliqué du Jean-jean. Lettres qu’elle ne gardait pas.



jeudi 26 septembre 2013

Leur dernière Valls




Elles n’ont pas fait notre printemps cette année, plutôt animé nos douces soirées d’été, faufilant de leurs savantes figures le grand chapiteau bleu. Elles nous ont régalés de leurs numéros aériens, vols planés, loopings, saltos ou boucles sans traces, fumigènes, juste poudre aux yeux. Elles nous ont calligraphié quelques haïkus, dessiné des moutons. Elles ont étiré notre brin de gaieté, donné un filet à nos pensées funambules. Elles nous ont offert l’élasticité du temps.
Elles sont serrées ce matin sur le fil, comme une lettre répétée au porte-plume. Quittent la ligne puis l’encrent de nouveau. Comme un peu d’excitation, d’électricité dans l’air. Ça chahute dans le rang. Discute-t-on des ondes, du vent ou du dernier bulletin météo ? Elles ont déjà leur tête métallique en Afrique. Restent à faire le plein des derniers insectes pour couvrir les 5000 ou 6000 kilomètres qui les séparent du Cameroun ou du Congo. Leurs ultimes piaillements ouvrent l’automne.




mardi 24 septembre 2013

J’ai 11 ans / 4




J’ai 11 ans. Je viens de subir avec succès l’examen d’Instruction Chrétienne Primaire devant la Commission diocésaine de l’enseignement libre de Vendée, réunie le 21 juin 1960 à Luçon. En foi de quoi, un certificat m’a été délivré, paraphé notamment par Antoine Marie évêque de Luçon. Monseigneur Cazaux, comme on disait avec une déférence craintive et dont m’intriguait la cassure du poing gauche contre la mâchoire venant comme soutenir un port de tête vacillant, lors des pompières cérémonies pontificales, sous les trémulations animales et lyriques du grand orgue.
J’ai 11 ans avec ce parchemin un peu grand, 42X30, pour être en poche, avec, à gauche dessinés en rouge, au dessus de labor, une ruche et à droite, au dessus de fides, un flambeau. Avec Dieu et Patrie en gras entourant un chapelet couronné d’un cœur sanglant surmonté d’une croix. Ce cœur explosant des poitrines dans toute l’iconographie pieuse. Toute la charge symbolique de la guerre intestine avec le pays laïc et son Certificat d’Études Primaires signé par l’inspecteur d’académie.
J’ai 11 ans au bout d’un certain nombre de médailles et croix épinglées sur ma blouse comme d’agenouillements sur une règle et de tours silencieux de cour. Bien dégagé autour des valeurs catholiques par les frères de Saint-Gabriel aux rabats bleus empesés sur une soutane funèbre. Des camarades vont poursuivre en collège, d’autres chercher un patron. Je vais rejoindre la troupe des engagés involontaires, gamin pris dans les mailles d’un réseau organisé autour des familles au missel brûlant et à la dévotion innocente.
J’ai 11 ans et peut lire au front du certificat sous la vignette d’un christ ouvrant largement ses bras : Laissez venir à moi les petits enfants.

jeudi 19 septembre 2013

J’ai 11 ans / 3



Elle a posé ses pieds sur le pédalier. Tourné vers elle le volant à sa droite débrayant poulie, bielle et pédale. Je vois la courroie de cuir se tendre et s’enclencher dans la grande roue. Le bruit régulier de l’étrange horlogerie vient se mêler aux crachotements enthousiastes du poste. Maman entraîne les premiers morceaux sous le pied presseur.

Je sais par mémé qu’elle a son CAP de couturière. Qu’elle a bossé pour un patron jusqu’à la captivité de papa automne 1940. Puis a dû piquer l’aiguille pour le remplacer sur la petite exploitation familiale. Mener au communal les quatre vaches, s’occuper du jardin. Ma sœur était née en octobre, mon frère avait 4 ans. Période longue et pénible pour celle qui n’aimait pas la culture. Aussi quand très affaibli, papa revint au printemps 1945 de son stalag, elle le tira vers la ville. Elle s’y plia au ménage et à la cuisine chez un ancien huissier, lui, au jardin potager, garda un peu de terre dans les mains.

Elle ne reprit la couture qu’à ma naissance quand papa, trouvant un emploi de magasinier, ils purent enfin quitter leur servitude. Frère et sœur, elle a habillé toute notre enfance. De la blouse noire ou grise de rentrée à la chemise et culotte pascale. A Pâques on devait être neufs et jalousés dans les travées de la Cathédrale.

mercredi 18 septembre 2013

Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance unique.

















Mystérieusement Georges Braque est resté longtemps dans l'ombre, peut-être la discrétion de l'homme et la présence envahissante, à ses côtés, de Picasso.La rétrospective organisée du 18 septembre au 6 janvier au Grand Palais devrait lui redonner la place majeure qu'il a dans l'histoire de l'art.Le peintre a beaucoup fréquenté les poètes et parfois merveilleusement travaillé pour eux. Ainsi, il a illustré dans les années soixante la seconde version des " Lettera amorosa" de René Char, dont j'ai extrait ce poème, exemple de la fulgurante concision du poète.



mardi 17 septembre 2013

A la petite cuillère





Voilà Fillon qui récidive, tombe à nouveau le masque. Sectaire vous avez dit sectaire. Allons au dico : qui manifeste de l’intolérance, de l’étroitesse d’esprit en refusant d’admettre les opinions différentes de celles qu’il professe. Serpent donc qui se mord la queue sonnante. A la vision des débats, des joutes de l’arène politique, nombre de français ont déjà fini par conclure qu'animal politique rimait avec bonimenteur sectaire. Ne s’empresse-t-il pas pour accéder à la lumière de rentrer dans un parti, d’appartenir à une meute. Le jeu politique ne consiste-t-il pas en des oppositions frontales de partis eux aussi divisés en courants? Toute notre démocratie parait fonctionner, ainsi, sur des idéologies claniques dont l’alternance repose sur le sectarisme des militants ou l’envie primaire d’un changement par une majorité.
En jouant sur les mots, feignant, en cas de choix, de regarder le candidat dans le tréfonds de l’ADN plutôt que dans les idées dont il est le passeur, notre gendre idéal rayeur de parquet élyséen tente une nouvelle fois, pour attirer dans ses mailles le maximum de gogos, de confondre le Le Pen et la carpe. Tout ça n’est que triste stratégie de communication et médiocre racolage. A cette occasion ratée, l’ambitieux démagogue,allant jusqu'à gauchiser un Copé, en ternissant l’image du responsable politique, fragilise encore un peu plus notre vie démocratique. Autrefois, on n’invitait surtout pas le diable à table. Puis on a sorti la longue cuillère. Aujourd’hui Fillon met la nappe et le petit doigt levé déjeune à la petite cuillère…en argent avec l'encorné.

samedi 14 septembre 2013

J’ai 11 ans/2




Il fait bleu roi dans ces derniers jours d’août soixante. J’écoute, collé aux grésillements du Radiola fruitier trônant sur le frigidaire, les jeux olympiques de Rome déclarés ouverts le 25. Maman est courbée sur son imposante Singer en fonte noire. Étonnant instrument tenant de l’orgue sous la table et du chat baroque dessus. A sa gauche les coupes grises d’une blouse qu’elle a patronnée et qu’elle va assembler. Dans les 2 mètres de tissu acheté 590 francs chaque. Elle entrecroise le fil de la canette glissée sous le tablier de la machine à celui tiré de la bobine embrochée sur l’échine qu’elle déroule dans le cadran de tension, avant de l’enfiler dans l’aiguille.
Je me surprends à suivre encore ses gestes habiles et précis, son doigté avec la même fascination que quand je traînassais dans ses bas. Dans ce recoin gauche de la cuisine, ajouré par le jour tamisé de la porte. Mon univers de culottes courtes. Quand je bricolais avec ses bobines vides des chariots ou découpais des saloons dans le carton marronnasse des boîtes de sucre Beghin. Mon univers de western sur les géométries vertes et roses du carrelage où je reproduisais les aventures de Kid Carson, dévorées dans les petits formats noir et blanc de bandes dessinées. Avec Akim, ce clone de Tarzan, mes meilleurs compagnons alors de solitude…

mercredi 11 septembre 2013

L’étoile du port





Il disait ma môme les calots pleins d’écume pour cette fricoteuse, cette onduleuse du juke-box. Avait vendu sa Rose des vents pour s’ancrer à ce bout du port dans l’outremer de ses yeux. Avait largué sa vareuse, cloué sa bouée par-dessus bar, tirer un dernier trait de chalut avant de s’arrimer au zinc. Se retrousser les manches pour offrir à sa Roxane un balcon étoilé. Il disait ma môme à la crête des verres qui moussaient sur les tables. Ces gueules qui choquaient leur vague à l’âme.
Mais la belle avait des hanches à chahuter tous les amers, un cul à chavirer les solitudes. Mais la belle avait des mains à embrouiller toutes les déglingues, un cœur à noyer tous les naufrages. Mais la belle rêvait du large à l’étrave du café. Et puis est venu Karl se planter dans son ciel. Embobiner sa peau. Il disait ma môme en éclusant cul sec ses nuits effilochées, en trinquant aux aubes titubantes. Il disait ma môme en chialant sur ce corps étendu dans la sciure, glougloutant de sang chaud.

sur un tableau de Jean-François Bourasseau

lundi 9 septembre 2013

Expo Jean-François BOURASSEAU


Mon ami Jean-François Bourasseau expose ses nouvelles œuvres à la médiathèque de Fontenay-le-comte

dimanche 8 septembre 2013

J’ai 11 ans



J’ai 11 ans, un miaulement rouillé dans la gorge, le dos de maman s’éloigne de la grille. Son petit chat est mort à cet instant. Son Jeanjean comme elle dit à la maison. Papa emploie peu ce sobriquet qui souvent m’agace, dit plutôt fiston. J’ai 11 ans dans le jour rongé d’une immense cour rectangulaire, que j’apprendrai demain être celle des petits. Piqué avec d’autres perdus sur mes chaussures neuves du trousseau. Dans le corset de hauts murs gris et raboteux, parcouru tout au long par la verrière d’un promenoir. Pris dans le quadrillage de dizaines de fenêtres. Plus tard j’aurai de longues heures, des jours et des mois pour compter, dans chaque vitrage, vingt huit petits carreaux. Là, j’éprouve ces croisillons comme des barreaux, je ne perçois que reflets hostiles et grimaçants, me vrille le fer rouge d’un œil démesuré qui me poursuit de vitre en vitre et me flaire jusqu’à l’âme.
A ma droite la masse noire d’une chapelle aux quatre brèches vitraillées, éteintes en cette fin d’après-midi. Seul pour me faire lever les yeux, piéger bizarrement un peu de mon angoisse, un clocheton dressé sur l’ardoise du bâtiment central étroit et surélevé. L’entrée principale dont j’apprendrai que son franchissement mène à un lourd bureau de chêne recouvert d’un cuir fauve mais surtout à une férule fermement appliquée de la voix la plus doucereuse. Quant au clocheton dont, à ce moment, l’érection chapeautée m’évoque, bêtement, quelque babiole couronnant un gâteau, j’en détesterai très vite la volée aigrelette découpant impitoyablement, de matines à complies, chaque journée.
J’ai 11 ans ce 15 septembre 1960, maman pense encore à son petit chat sur le skaï écoeurant de l’autobus qui la ramène. Du moins je la vois ainsi. Je suis avec les autres dans cette cage dans laquelle jamais nous ne piaillerons.





mercredi 4 septembre 2013

Alors tes vacances ?





Charnière d’août, mélancolie océane. Procession bitumée vers l’ordre des choses. Odeur de famille dans la tôle. Reprise. Tête d’épingle dans la grande déroute. Le hâle en pâture et les effeuillements trafiqués, les retrouvailles suicidaires. Romance des petites ivresses et des réconciliations sur l’oreiller du couchant. Chambre sur beau rouge veineux. Marketing expresso des corps. Migraine du jeu de société. Garder le plus longtemps les ongles enfoncés dans le sable. Ouvrir les paupières en canif et regarder l’autre au fond des dents en promenant sur la lèvre une langue de chat.
Charnière d’août, enterrement marin. Occasion de barbouiller une histoire. De mettre un doigt dans la confiture de l’autre, poisser un peu ses pâmoisons et limer ses excroissances. On a fait le plein des remords et des démangeaisons, des résolutions mordantes et des attitudes rétives. Plus jamais ça. La coupure nous a fait un cœur fou. On ne pointe pas, on composte son billet pour l’open space. On longe de quai des écrans. Surtout marcher sur son petit nuage en rayant les visages. S’empresser de sourire avant d’attaquer la falaise. Alors tes vacances ?

dimanche 28 avril 2013

La fille aux grains de beauté.




Par l’odeur alléchés
…me dis-je, parfois, longeant tous ces chalands agglutinés devant l’étal d’une chaîne boulangère, insectes piégés par les phéromones malins des diffuseurs. Si je suis aussi flatté à quelques mètres de ma boulangerie, ce n’est pas par quelque effluve synthétique mais bien celle chaude et vivante d’un vrai pain d’artisan. Cette baguette tradition ou gourmande que je demande en précisant pas trop cuite à la vendeuse qui officie entre viennoiseries et pâtisseries.
Son visage dessine un bel ovale mais ce n’est ni pour le fendu par trop réflexe de son sourire ni pour le feuilleté clair de son regard que l’attente m’est douce le long des éclairs ou des religieuses. Mais pour ce grain café qui marque le bas de son cou et puis cette autre à la naissance du sein gauche que, parfois défait, le premier bouton révèle. Minuscule lentille sur sa peau de mie que l’œil butine dans l’écume fleurie de l’échancrure.
Ce n’est ni pour sa fossette gauche loin de celle joliment mouchée de Marilyn ni sa pommette droite sans le charme de celle délicieusement tachée de Scarlett Johansson que je m’attarde à trier dans ma monnaie le juste appoint. Mais il y a ce grain chocolat en bas de son cou et puis cet autre semé dans le décolleté. Début d’un érotique chapelet que mon œil égrène espérant que se libérant de sa boutonnière une seconde nacre m’offre la vision d’une troisième petite lune de miel.




vendredi 26 avril 2013

GASTON




- Dis tu ne le trouves pas un peu bizarre le nouveau locataire ?
- Non, genre artiste
- Il écrit, il écrit. Des tas de lettres.
- Oui, il doit avoir beaucoup d’amis.
- Puis dessine et peint
- Oui sur tout ce qu’il trouve, carton, catalogue.
- Assiettes, balai.
- même les portes de sa pauvre armoire.
- Toujours la même figure ronde aux petits yeux ronds.
- Et au nez allongé.
- Je ne sais pas où il a pris une telle tête…
- comment tu l’appelles déjà ?
- Gaston.
- Comme Chaissac ?









Sur une photo de Lou Sautreau vieil appartement Bruxelles

jeudi 25 avril 2013

Les amants du métro





- Tu as vu elle nous a pris en photo.
- Quoi ?
- Je te disais la jeune fille nous a pris en photo.
- Quelle jeune fille ?
- Celle de la ligne 6
- Qui monte à Delacroix ?
- C’est ça et descend à Porte de Namur.
- Avec son carton de dessins.
- Et son manteau rouge.
- Elle choisit souvent la même place.
- Parfois elle lit.
- En ce moment : « Zazie dans le métro »
- Je ne l’ai pas lu.
- C’est d’un certain Queneau.
- Peut-être me le prêterait-elle ?
- J’aime son parfum
- A cette Zazie ?
- Non celui de la jeune fille.
- Très boisé. Alien peut-être.
- Alien comme l’extraterrestre ?
- Je ne le vois pas du tout sur moi.
- C’est la première fois qu’on nous photographie.
- Elle est peut-être journaliste.
- Je la verrais plutôt dessinatrice.
- Ah oui de bandes dessinées.
- « Les amants du métro »
- Ce serait un beau titre.

Sur photo de Lou Sautreau, Métro ligne 6 BRUXELLES



vendredi 19 avril 2013

La fille à la trottinette



Après des jours et des jours de tisons et de lampes, on se cramponne à la moindre hirondelle et on finit par prendre pour lanterne la prophétie réitérée d’un retournement des hordes glaciales. Et ce samedi soir on se couche sur le petit lait printanier bu aux lèvres de la miss météo. Alors quand au réveil dominical le ciel semble à la hauteur, on sort méfiant toucher ce bleu à peine sec. Et le poil d’air doux qui nous frise l’échine nous file une telle gaieté que nous éprouvons l’envie de claironner ce soleil à tous les draps encore remontés sur les épaules. Malgré notre impatience, soucieux de la quiétude familiale, on attend que chacun émerge et se frotte les yeux à ce fond tout neuf. Plus tard, on enfoncera le clou de cette belle humeur, en annonçant « Cet après-midi on va à la mer ». Seule atmosphère, quand on habite sous sa proche influence, capable de dilater un peu plus ce nouvel état de bonheur.
On a déjeuné un peu plus tôt pour profiter un peu plus tard. A Saint-Vincent-sur Jard on a pris le sentier qui longe l’océan vers Jard-sur-mer. Deux kilomètres entre les œillets maritimes et les euphorbes, dans les effluves iodées, avec dans l’oreille l’oscillation frondeuse des vagues, les phases ombilicales de leur musique, leurs boucles bouillonnantes et leur coda d’écume. Deux kilomètres de chant marin. A l’arrivée au port, on se pose pour siroter en contrebas de la terrasse du Sloop, crêperie bar. Vertèbres à peine relâchées et premiers mots pour dire ce moment, que notre place au soleil est hachée par les ricochets sourds et sauvages d’une kermesse mécanique. Une vingtaine de casqués vrouvroumant dans les basses. Une meute rutilante crachant du pot. Des cuirs se défiant à l’échappement.
Juste au dessus de nous, une fille est attablée. Elle a commandé un panaché. Devant elle un Nikon rouge bagué d’un zoom. Je parie pour un 55-200. Elle le saisit par instants puis le repose, se tourne légèrement puis revient à sa mousse jaunasse. La parade amoureuse des gros cubes la rend visiblement nerveuse. Elle est attirée par le rugissement râpeux des bécanes, fascinée par cette brousse des cylindres. Elle est traversée par ces vibrations de rut. Elle se remet de biais reflex au niveau du menton, zoom bandé vers la turgescence métal. Mais, sans doute intimidée par la rumeur exaspérée des consommateurs voisins furieux de voir leur premier bain de rayons troublé par l’étincelant barouf, elle renonce à immortaliser cette tribu motarde. Qui enfin, dans une ultime exaspération des poignées, finit par déchirer le bitume et quitter la scène.
Je la vois alors se lever, enfouir son Nikon dans un sac à dos, descendre et chevaucher une trottinette...




dimanche 14 avril 2013

Les yeux dans les yeux.




On doutait évidemment devant les cartes météo quand soir après soir après des journées plus moroses et chahutées les unes que les autres, nos pythies atmosphériques se succédaient pour nous prédire ce dimanche 14 avril un coup de balai anticyclonique Qui inverserait enfin les courbes nuageuses et collerait sur tous les écrans hexagonaux une belle unité de petites pastilles jaunes à rayons d’or. Cela ressemblait tant à une tentative désespérée, proche de la promesse électorale sur nos cerveaux nourris depuis des semaines à l’escamotage yeux dans les yeux, de peindre en jaune canari nos cieux pour nous faire oublier ceux mirobolants des paradis fiscaux, que nous refusions d’y croire, installés dans l’idée que tous pourris. Mais il faut, aujourd’hui l’admettre, le soleil existe encore sous lequel on peut vivre juste en dessous exactement et s’y refaire un plein gratuit des sens.

samedi 13 avril 2013

Le Bol / 9/ Le bol au cheveu.




Où tu as la tête ? Mange donc, ton café va être froid
. On est pourtant dimanche mais maman ne cesse de voleter autour de moi, de la cuisinière au buffet. A cette heure les autres jours tout est rangé. On est dimanche et je rêvasse devant le grand bol côtelé à la rose ancienne. Fleur, une année, élue pour mon dessin de fête des mères. Il vient de chez ma grand-mère paternelle. Je le choisis quelquefois sous le regard acide de maman. Je m’amuse de son irritation que je sais contrariée par le statut sacralisé de l’objet, un legs de l’autre bord. Glaise de parentèle qui la retient de m’intimer de le laisser dans le buffet.
Pourquoi tu as pris ce vieux bol
? Je n’ose pas lui dire que je revois dans sa vieille faïence le visage de cette femme sèche et toute de noir vêtue qui m’accueillait toujours avec bonheur, à la descente de ces vieux cars rugissants qui me rendaient malade. Cette mémé parlant aux poules picorant sous sa table tout en tournant, serré entre ses genoux, un moulin à café qui broyait un arôme de grains du Colon mélangés de chicorée Leroux. Je tais que m’émeut sa légère fêlure qui court du bord jusqu’au fond. On dit aussi un cheveu. J’aime cette ligne de cœur. J’y passe le doigt comme sur une veine.