lundi 25 février 2013

Février (Dans le jardin de mon père)




Ça caille disait-il ou j’ai attrapé la grappe, pour dire qu’il avait l’onglée. J’avais les mains au chaud de mon café au lait quand lui arrivait se réchauffer d’une soupe fumante. Il fallait vraiment un lever à pierre fendre pour qu’il ne file pas, même un temps bref, à son jardin, avant l’embauche.
En février, s’y blottissaient peu de légumes : Les choux déchaussés qu’il avait enjaugés têtes au nord. Les carottes, poireaux, salsifis, épinards, mâche qu’il avait molletonnés de paille ou de feuilles. Mais il allait voir le beau gras de cette terre tournée à grosses mottes et qui maintenant digérait ses brouettées de compost et tiédissait sous les couches de fumier.
Bientôt il y planterait son ail, ses fèves et échalotes, ses belles de Fontenay dont les filaments violacés commençaient à crever leurs orbites, dans les cagettes hivernées sous le buffet de la cuisine.
Je n’y allais pas. Sauf les rares jours de neige. Je ne l’y entendais pas vanter la vertu nourrissante et fongicide de sa fonte. Non, devant ces exceptionnelles blancheurs, nous avions le même âge et les yeux en flocons. Pour un peu il m’aurait poussé à modeler un bonhomme juste pour le plaisir d’affubler mon pâle Cyrano d’une de ses carottes.

vendredi 22 février 2013

Notes entendues à l'ombre des feuilles




Le photographe Michel Godeau vient de faire paraitre "Notes entendues à l'ombre des feuilles" Il est l'auteur des photographies et textes. J'en ai écrit la préface. Voici comment il résume son magnifique ouvrage dont je publierais à suivre des photos et textes:














mardi 19 février 2013

Le bol /7/ Le bol de Picasso



Janvier 1906, Matisse vient de peindre le bonheur de vivre qu’il rebaptisera un peu après la joie de vivre. On comprend le glissement de mot devant ce grand tableau bucolique où se prélassent et dansent femmes et hommes nus sur fond de grands aplats fauves, des rose, vert, orange ou violet purs. Figures hédoniques comme découpées dans les arabesques d’un âge d’or. Peut-être symboliquement celui, alors, approché par le peintre.
Un an plus tard, sans doute agacé par cette Arcadie par trop riante et lumineuse, voire baignant dans un trop bel équilibre, Picasso répond à cet ami qu’il admire par le camaïeu incarnat de ses provocantes demoiselles d’Avignon, bousculant là tout le formalisme ambiant et ouvrant le temps du cubisme. Défi qu’on retrouve dans cruche, bol et citron.
Cette nature Morte que cette même année 1907 Picasso offrira justement à Matisse en échange de son portrait de Marguerite. Sans doute la perspective y est écrasée et le trait anguleux, mais l’arcure du bol n’enlève rien à la ronde heureuse de la scène. Mieux son œil ocré brûle de toute la joie de vivre dans la peinture.

dimanche 17 février 2013

L’origine du Monde /2 /




En ce temps là je supputais, faisais mes études du genre dans les dessins d’anatomie ou les pages Petit bateau de la Redoute ou des Trois suisses. Rêvais un peu aussi sur les planches beaux-arts des dictionnaires. Là, rebonds fessiers et collines mamelonnées m’échauffaient bien l’œil mais en dessous du nombril le traitement de l’artiste me laissait de marbre. Gommant ou voilant un espace qui pourtant me fascinait.
Et puis, en ce temps là, en 1963, avec Salut les copains m’est tombé entre les mains le premier Lui, le magazine de l’homme moderne. Très loin de ce statut, plutôt coincé au milieu d’ados ploucs, si je restai totalement insensible à la parfaite panoplie du type flambant et assuré, je fus, par contre, absolument ému par les starlettes qui y étaient habilement dénudées. La revue, alors, le plus souvent dérobée, plus par honte que par défaut pécuniaire, est devenue l’objet d’un voyeurisme partagé et le médium d’un onanisme privé et joyeux.
Pourtant l’effeuillage de ces filles de papier glacé ne s’aventurait guère, alors, plus loin que mes images picturales des Diane ou Vénus, des femmes sur l’herbe ou au tub. On était très loin de Courbet ou d’Egon Schiele que je découvrirais plus tard. Les poses des créatures comme les auraient sûrement appelées maman à laquelle je dissimulais le mensuel, ne dévoilaient toujours rien de cette intimité profonde dont j’espérais, à chaque numéro, la révélation.
Je crois avoir finalement résolu ce mystère grâce à petit amie en vraies boucles blondes et chair rose avant que le premier pubis révèle sa toison d’or dans la magazine. Au fond, en constatant l’horrible éducation pornographique des ados d’aujourd’hui, j’ai vécu une époque formidable, Lui dans son glissement progressif vers un érotisme tempéré m’offrant comme les préliminaires de ma propre découverte. Et du coup préservant tout l’éblouissement de mon entrée dans la vallée originelle.




jeudi 14 février 2013

St-Valentin: offrez-vous un étalon


Je vous ai apporté des lasagnes
Parce que les fleurs c’est périssable
Et qu’les lasagnes c’est champagne
Bien qu’les fleurs soient plus présentables
...


mercredi 13 février 2013

L’origine du monde / 1 /



En ce temps là, au 20h bien dégagé autour des oreilles par dame Anastasie, on n’aurait jamais, plein petit écran, recollé à l’origine du monde son fiévreux visage supposé, tout à coup déniché dans l’obscur d’une brocante. Aboutement, donnant au tempétueux tableau l’académie jaunie d’un nu de daguerréotype et lui retirant soudain toute sa sulfureuse symbolique.
En ce temps là, sa reproduction décapitée n’enflammait pas le Larousse et je n’ai eu, fût-elle de sciences naturelles ou physiques, aucune tonsure éducative pour m’expliquer par Courbet quelque enfantement tellurique dans la douleur, envisager toute genèse cosmique hors le doigt de Dieu. En ce temps là tout était lisse sur notre bel éden et derrière le premier cri, les roses comme les choux refermaient gentiment leurs plis.
Un en ce temps là qui semble donc, à première vue, sans nous frotter à l’âge du silex, nous placer entre l’âne ou le bœuf, au premiers vagissements d’un certain JC qui depuis a fait une belle carrière dans l’encens et le grégorien.Un en ce temps là ne sentant ni le suaire de Mathusalem ni l’humidité ocrée des cavernes mais simplement la naphtaline des années sixties.
En ce temps là et bien au-delà des jupes jetées par dessus les barricades soixante-huitardes,le sexe de la femme était bien le sexe des anges.



mardi 12 février 2013

Le latin de cuisine médiatique




Bien sûr on traîne encore la Pucelle d’Orléans et ses moutons frontistes, aussi la Bernadette qui a changé l’eau ferrugineuse en eau Lourdes d’euros et devises. Bien sûr on exhibe encore la poussiéreuse formule de la France fille aînée de l’Eglise. Bien sûr on a subi récemment un tyranneau chanoiné qui classait le curé avant l’instituteur. Bien sûr on vient de canoniser la Frigide Barjot. Mais comment expliquer cette ferveur médiatique quand à 85 ans un type qui ne déplace plus que sur des roulettes décide de jeter l’éponge vinaigrée. Comme justifier que la chaîne publique d’un état séparé et laïc puisse consacrer la quasi-totalité de son journal du soir à une démission fusse t-elle papale ? Sans parler ce matin des pages entières noircies par ce même non évènement. Car paradoxalement noircies pour dire que ce Benoît ne marquera l’Histoire non pour ses démarches et écrits progressistes mais bien pour ses crispations sociétales conservatrices. La France est-elle à ce point en crise et malade pour fourgonner les vieilles cendres et se chercher des enchantements dans la fumée blanche ?

dimanche 10 février 2013

La pelote des rues



Aujourd’hui je marche. Et je trouve la même oxygénation dans la déambulation au fil des rues. Mais, sans l’isolement protecteur de l’habitacle, dangereusement livré au côtoiement. Dans le dévidement du pavé, se maille, pas à pas, un texte qui s’allonge avec bonheur. Je noue des mots, charpente des phrases, l’œil tout à l’écoute, mais l’esprit comme détaché dans la pure jouissance de ses métamorphoses. Je chemine, me réjouissant par avance, pénates retrouvés, du riche écoulement d’un écrit tout mâché.
Ma seule hantise, à ce moment, est de buter, comme parfois, sur une tête qui décide que la mienne lui revient au point de contrarier mon petit jeu d’aiguilles. Là tout se joue sur la durée. Espérer que le quidam se contente du minimum courtois, ça va et point météo, sans quérir le détail de mon état ou distiller le sien, pire solliciter mon opinion sur son point de vue ou une question d’actualité. Sinon l’esprit s’avise, très vite de réintégrer sa chair et ainsi de renvoyer mon beau tricot à sa pelote. Alors, la fin de journée peut s’avérer particulièrement désespérante.

jeudi 7 février 2013

Post-it






Quelques mots crayonnés, quelques traces de phrases, le squelette d’un poème dans les meilleurs matins. Puis la page refermée pour la pellicule du bitume. Bizarrement dans le long travelling, avant le couperet du travail, ces petits surgissements d’encre, pauvrement démarrés, retrouvaient des couleurs et prenaient de l’épaisseur. Comme si le déroulement du paysage, dérouillant les neurones, favorisait l’élasticité des pensées et conjuguant de belles dérives imagées, favorisait la précipitation d’intéressantes structures poétiques.
Hélas vouées au plus bel écroulement dès le claquement de la portière. Et la première tête cravatement croisée qui vous ramène entre les fougères synthétiques d’un open space quand vous rouliez depuis des kilomètres dans les herbes folles de la langue en enchaînant pour le meilleur consonnes et voyelles. Bien sûr l’atterrissage est rude et vous avez beau vous précipiter sur le dos vierge du premier imprimé, en forçant votre mémoire à se répandre, vous ne pouvez que constater que votre bel imaginaire tient maintenant sur un post-it.



mardi 5 février 2013

Une sorte de gris.





Parce qu’on se frotte d’abord au ciel, volets ouverts, on peut parfois tout un jour se retirer du présent, se perdre dans le tourment d’un sort sur lequel, on le comprend alors, on n’a pas mis assez de peaux. Devant un ciel adverse, de vieille pierre, qui bouche d’entrée le cœur. Un ciel de passé qui revient nous empoisonner, nous tirer par l’enfance.
Un ciel de blouse grise. De tissu estompé dans les lessiveuses. De mains eczémateuses, d’avant-bras enflammés et vésiculeux dans la buée des buanderies. Devant un ciel suintant sur les toits. Dont le cloisonnement endeuille le tremblement des lampes sous lesquelles on se réfugie jusqu’au soir près de la chair des livres.

samedi 2 février 2013

Le bol /6/ Le petit bol de MATISSE




Objets inanimés avez-vous donc une âme
? Je me souviens d’avoir longtemps tourné autour de cet alexandrin lamartinien. M’intéressant peu à leur sens plastique, je n’ai dû, alors, creuser réponse qu’en retournant les objets sous l’angle de leur emprise affective. Depuis je sais que seule que l’émotion poétique et la rêverie esthétique peuvent délivrer l’âme d’une matérialité.
Devant le petit bol de Matisse, son tracé radical, sa fraîche effervescence, on ressent, ce coup de foudre, cette incision de l’oeil fulgurant. Brûle, dans ce négatif tout l’aura symbolique de ce cratère arraché à la glaise. La flamme parcourant le trait illumine à la fois la structure et l’évidement, éclaire le plein et le vide de l’espace.
Le petit bol connait la plénitude sous la l’éclairante pulsion qui l’inscrit dans le souffle de la Création. La ligne pénétrante entoure les mots de lao Tseu : Nous fabriquons un récipient à partir d’une motte d’argile, c’est l’espace vide dans le récipient qui le rend utile…si le tangible le construit, c’est l’intangible qui le rend utile.