dimanche 28 avril 2013

La fille aux grains de beauté.




Par l’odeur alléchés
…me dis-je, parfois, longeant tous ces chalands agglutinés devant l’étal d’une chaîne boulangère, insectes piégés par les phéromones malins des diffuseurs. Si je suis aussi flatté à quelques mètres de ma boulangerie, ce n’est pas par quelque effluve synthétique mais bien celle chaude et vivante d’un vrai pain d’artisan. Cette baguette tradition ou gourmande que je demande en précisant pas trop cuite à la vendeuse qui officie entre viennoiseries et pâtisseries.
Son visage dessine un bel ovale mais ce n’est ni pour le fendu par trop réflexe de son sourire ni pour le feuilleté clair de son regard que l’attente m’est douce le long des éclairs ou des religieuses. Mais pour ce grain café qui marque le bas de son cou et puis cette autre à la naissance du sein gauche que, parfois défait, le premier bouton révèle. Minuscule lentille sur sa peau de mie que l’œil butine dans l’écume fleurie de l’échancrure.
Ce n’est ni pour sa fossette gauche loin de celle joliment mouchée de Marilyn ni sa pommette droite sans le charme de celle délicieusement tachée de Scarlett Johansson que je m’attarde à trier dans ma monnaie le juste appoint. Mais il y a ce grain chocolat en bas de son cou et puis cet autre semé dans le décolleté. Début d’un érotique chapelet que mon œil égrène espérant que se libérant de sa boutonnière une seconde nacre m’offre la vision d’une troisième petite lune de miel.




vendredi 26 avril 2013

GASTON




- Dis tu ne le trouves pas un peu bizarre le nouveau locataire ?
- Non, genre artiste
- Il écrit, il écrit. Des tas de lettres.
- Oui, il doit avoir beaucoup d’amis.
- Puis dessine et peint
- Oui sur tout ce qu’il trouve, carton, catalogue.
- Assiettes, balai.
- même les portes de sa pauvre armoire.
- Toujours la même figure ronde aux petits yeux ronds.
- Et au nez allongé.
- Je ne sais pas où il a pris une telle tête…
- comment tu l’appelles déjà ?
- Gaston.
- Comme Chaissac ?









Sur une photo de Lou Sautreau vieil appartement Bruxelles

jeudi 25 avril 2013

Les amants du métro





- Tu as vu elle nous a pris en photo.
- Quoi ?
- Je te disais la jeune fille nous a pris en photo.
- Quelle jeune fille ?
- Celle de la ligne 6
- Qui monte à Delacroix ?
- C’est ça et descend à Porte de Namur.
- Avec son carton de dessins.
- Et son manteau rouge.
- Elle choisit souvent la même place.
- Parfois elle lit.
- En ce moment : « Zazie dans le métro »
- Je ne l’ai pas lu.
- C’est d’un certain Queneau.
- Peut-être me le prêterait-elle ?
- J’aime son parfum
- A cette Zazie ?
- Non celui de la jeune fille.
- Très boisé. Alien peut-être.
- Alien comme l’extraterrestre ?
- Je ne le vois pas du tout sur moi.
- C’est la première fois qu’on nous photographie.
- Elle est peut-être journaliste.
- Je la verrais plutôt dessinatrice.
- Ah oui de bandes dessinées.
- « Les amants du métro »
- Ce serait un beau titre.

Sur photo de Lou Sautreau, Métro ligne 6 BRUXELLES



vendredi 19 avril 2013

La fille à la trottinette



Après des jours et des jours de tisons et de lampes, on se cramponne à la moindre hirondelle et on finit par prendre pour lanterne la prophétie réitérée d’un retournement des hordes glaciales. Et ce samedi soir on se couche sur le petit lait printanier bu aux lèvres de la miss météo. Alors quand au réveil dominical le ciel semble à la hauteur, on sort méfiant toucher ce bleu à peine sec. Et le poil d’air doux qui nous frise l’échine nous file une telle gaieté que nous éprouvons l’envie de claironner ce soleil à tous les draps encore remontés sur les épaules. Malgré notre impatience, soucieux de la quiétude familiale, on attend que chacun émerge et se frotte les yeux à ce fond tout neuf. Plus tard, on enfoncera le clou de cette belle humeur, en annonçant « Cet après-midi on va à la mer ». Seule atmosphère, quand on habite sous sa proche influence, capable de dilater un peu plus ce nouvel état de bonheur.
On a déjeuné un peu plus tôt pour profiter un peu plus tard. A Saint-Vincent-sur Jard on a pris le sentier qui longe l’océan vers Jard-sur-mer. Deux kilomètres entre les œillets maritimes et les euphorbes, dans les effluves iodées, avec dans l’oreille l’oscillation frondeuse des vagues, les phases ombilicales de leur musique, leurs boucles bouillonnantes et leur coda d’écume. Deux kilomètres de chant marin. A l’arrivée au port, on se pose pour siroter en contrebas de la terrasse du Sloop, crêperie bar. Vertèbres à peine relâchées et premiers mots pour dire ce moment, que notre place au soleil est hachée par les ricochets sourds et sauvages d’une kermesse mécanique. Une vingtaine de casqués vrouvroumant dans les basses. Une meute rutilante crachant du pot. Des cuirs se défiant à l’échappement.
Juste au dessus de nous, une fille est attablée. Elle a commandé un panaché. Devant elle un Nikon rouge bagué d’un zoom. Je parie pour un 55-200. Elle le saisit par instants puis le repose, se tourne légèrement puis revient à sa mousse jaunasse. La parade amoureuse des gros cubes la rend visiblement nerveuse. Elle est attirée par le rugissement râpeux des bécanes, fascinée par cette brousse des cylindres. Elle est traversée par ces vibrations de rut. Elle se remet de biais reflex au niveau du menton, zoom bandé vers la turgescence métal. Mais, sans doute intimidée par la rumeur exaspérée des consommateurs voisins furieux de voir leur premier bain de rayons troublé par l’étincelant barouf, elle renonce à immortaliser cette tribu motarde. Qui enfin, dans une ultime exaspération des poignées, finit par déchirer le bitume et quitter la scène.
Je la vois alors se lever, enfouir son Nikon dans un sac à dos, descendre et chevaucher une trottinette...




dimanche 14 avril 2013

Les yeux dans les yeux.




On doutait évidemment devant les cartes météo quand soir après soir après des journées plus moroses et chahutées les unes que les autres, nos pythies atmosphériques se succédaient pour nous prédire ce dimanche 14 avril un coup de balai anticyclonique Qui inverserait enfin les courbes nuageuses et collerait sur tous les écrans hexagonaux une belle unité de petites pastilles jaunes à rayons d’or. Cela ressemblait tant à une tentative désespérée, proche de la promesse électorale sur nos cerveaux nourris depuis des semaines à l’escamotage yeux dans les yeux, de peindre en jaune canari nos cieux pour nous faire oublier ceux mirobolants des paradis fiscaux, que nous refusions d’y croire, installés dans l’idée que tous pourris. Mais il faut, aujourd’hui l’admettre, le soleil existe encore sous lequel on peut vivre juste en dessous exactement et s’y refaire un plein gratuit des sens.

samedi 13 avril 2013

Le Bol / 9/ Le bol au cheveu.




Où tu as la tête ? Mange donc, ton café va être froid
. On est pourtant dimanche mais maman ne cesse de voleter autour de moi, de la cuisinière au buffet. A cette heure les autres jours tout est rangé. On est dimanche et je rêvasse devant le grand bol côtelé à la rose ancienne. Fleur, une année, élue pour mon dessin de fête des mères. Il vient de chez ma grand-mère paternelle. Je le choisis quelquefois sous le regard acide de maman. Je m’amuse de son irritation que je sais contrariée par le statut sacralisé de l’objet, un legs de l’autre bord. Glaise de parentèle qui la retient de m’intimer de le laisser dans le buffet.
Pourquoi tu as pris ce vieux bol
? Je n’ose pas lui dire que je revois dans sa vieille faïence le visage de cette femme sèche et toute de noir vêtue qui m’accueillait toujours avec bonheur, à la descente de ces vieux cars rugissants qui me rendaient malade. Cette mémé parlant aux poules picorant sous sa table tout en tournant, serré entre ses genoux, un moulin à café qui broyait un arôme de grains du Colon mélangés de chicorée Leroux. Je tais que m’émeut sa légère fêlure qui court du bord jusqu’au fond. On dit aussi un cheveu. J’aime cette ligne de cœur. J’y passe le doigt comme sur une veine.

mardi 9 avril 2013

La misère en milieu étudiant…



Au milieu de la page 3 de Ouest-France ce 9 avril entre la relation de l’assassinat d’un finistérien au Canada et quelques brèves internationale ce papier : « La prostitution gagne les bancs de l’université ». On est d’abord interpellé par ce titre étrange. La prostitution gagne les bancs de l’université. Après quelles autres bancs ? On pense immédiatement aux bancs de l’Assemblée Nationale. Peut-être un raccourci d’actualité dans l’esprit du journaliste. Affaire Lilloise ? La prostitution de l’argent en général ?
Le titre, en vérité, est bien lisse, bien banal pour relater cette terrible réalité : plusieurs milliers de jeunes femmes doivent recourir à la prostitution pour survivre en poursuivant leurs études. Voilà une vérité bouleversante qui devrait remuer toutes les consciences. Quelle est cette société qui contraint les unes à se prostituer, les autres à dormir dehors ? Qui condamne au précariat des millions d’individus ? C’est banal de le dire mais le régulier creusement des inégalités ronge lentement mais sûrement notre démocratie.
Nous sommes arrivés à un taux d’acceptation de la violence sociale absolument impensable !
Sans fraternité et travail vers plus d’égalité, nous précarisons notre liberté non de loup mais d’Homme parmi les hommes. En obligeant nos enfants à monnayer leurs corps, nous vendons notre âme.

Un poème est une épée




Les mots sont des épées contre les ventres des brouillards
, j’avais emprunté ce vers de Guillevic pour tenter de résumer l’esprit de mon blog au moment de sa création. Persuadé que l’expression poétique est le dernier rempart à la nuit et au brouillard de nos sociétés. Je viens de découvrir que les jeunes filles et femmes afghanes écrivent et clament le plus souvent clandestinement, des Landai, poèmes très courts souvent de deux vers pour crier leur enfermement religieux et mental, comme dénoncer leurs mariages forcés ou l’oppression de leur famille. Ils prennent parfois des accents plus politiques en s’attaquant à la présence militaire occidentale. Elles le font parfois au péril de leur vie. Ô séparation ! Je prie pour que tu meures jeune. Toi qui mets le feu aux maisons des amants…
Rahila était le nom de plume d’une jeune poétesse, Zarmina, qui s’est suicidée il y a deux ans. Sa belle-sœur l’avait surprise en train de lire ses poèmes d’amour au téléphone au cercle poétique de Kaboul Mirman Baheer qu’elle avait découvert en écoutant la radio. Sa famille en avait déduit qu’il y avait un garçon à l’autre bout du fil. Pour la punir, ses frères l’ont battue et ont déchiré ses carnets. La poétesse qui meurt jeune : Son souvenir sera une fleur piquée dans le turban de la littérature. Dans sa solitude, chaque sœur pleure pour elle.Écrira une autre jeune poétesse après son suicide.
Landai en pachtoune signifie « petit serpent venimeux »… Pour le cercle poétique Mirman Baheer, un poème est une épée.



vendredi 5 avril 2013

Un drôle de penchant.




C’est ainsi, même si je cultive un esprit plutôt large et volontiers poétique, j’ai toujours un peu de mal à admettre la vie secrète des choses, particulièrement celle des objets qui m’entourent. Que j’ai donc, à priori, disposés pour mon plaisir avec le plus grand soin. C’est toujours le soir que le doute prend corps au moment où justement je m’apprête à me délester de mon impitoyable réalité de la journée en me laissant épouser par mon fauteuil et attirer par les millions de pixels de l’actualité. Quand, à deux doigts de synchroniser quelques neurones disponibles avec la diction promptée du présentateur, mon cortex vient se fixer sur le tableau pendu un peu à gauche de l’écran : Il penche de nouveau à droite.
Hors que ce penchant s’avère contraire à mon propre centre de gravité politique, il vient contrarier ce besoin d’équilibre qui, à cet instant, m’est indispensable pour lentement évacuer toutes les petites avanies et contrariétés des heures précédentes. Et me plonger dans la plus grande perplexité car je suis sûr de l’avoir remis parfaitement rectiligne la veille. D’autant que parcourant la pièce, je dois me rendre à l’évidence qu’il n’est pas le seul, loin de là, à avoir repris sa liberté d’opinion. Imperceptibles secousse sismique ou tassement du sol, passage d’insectes ou dépôt de poussière ? Pourquoi ne pas admettre un retour délicat au clou après une nuit un peu chaloupée ? Ou que ce léger clin d’œil angulaire ne vise qu’à me décrocher du triste spectacle du monde.





mardi 2 avril 2013

La fille aux petits pois





Ce matin son sourire m’est revenu qui remonte joliment ses pommettes, en gracieux arrondi ensoleillant le teint. Puis le pétillement de l’iris sur l’étoilement de l’émail. Un instant s’est allumé tout son visage. L’expression de sa gaieté amusée. Malgré sa tenue maison, genre saharienne gazon, boursouflée de poches, liseré rouge Gamm vert sur la poitrine, elle est plutôt jolie. Son prénom, lui, n’est pas brodé. Karine, je l’ai entendu interpellée par un collègue « Karine tu montreras au Monsieur ». J’ai regardé le monsieur en m’interrogeant sur la chute de la phrase. Que devait-elle lui montrer ? Ce genre d’invite suspendue qui déplace les idées. Elle est donc assez jolie pour qu’on choisisse plutôt sa caisse quitte à flâner un peu sans raison au rayon voisin.
J’avais pris une boîte de fèves Aquadulce et une de petit pois Téléphone à rames. J’avais longuement hésité devant le large éventail des semences. J’avais fini par choisir ces grains ridés parce que plus sucrés et plus résistants à la chaleur que les grains ronds selon le dos de l’emballage. Et surtout parce que je me souvenais que déjà mon père les semait. Ainsi j’avais le sentiment de continuer les lignes filiales et de remuer dans ces micros billes un peu du tendre de mon enfance. Grains ridés, effet du temps alors ? Téléphone à rames, téléphone arabe, téléphone qui rame, détachée l’appellation ne manque pas d’humour renvoyant à la bakélite noire avec son cadran et à la voix médiatrice de la préposée. Peut-être pour son obtenteur et inventeur, la vision des gousses pendant au bout de leurs fils tortillés comme des minis combinés.
La fine main m’avait conduit à glisser ma carte moi-même dans le lecteur, dans d’autres endroits on vous la prend des mains. Est-ce genre d’incertitude qui plonge le français moyen dans la morosité contagieuse ? « Vous pouvez composer votre code ». Fréquence ouatée de l’Intonation ? J’ai eu le sentiment d’un rappel mais gentil à la réalité. Avais-je à ce point desserré le temps ? J’ai levé les yeux pour tomber sur le sourire des siens et le semis éclatant de ses dents. Visiblement désolée d’être dans le rôle de l’ange vous ramenant sur terre. Juste son « c’est rien » très doux derrière mon « excusez-moi » désarmant toute dérive, je suis parti avec les grains de sa peau et le bruit des mes petits pois dans leur boîte.
Etes-vous libre ce soir ? M’accompagneriez-vous prendre un pot ? Sans doute la jeunesse actuelle avait dû remiser ces vieux poncifs d’approche. Au moins de l’âge de son père, je passerai fatalement pour un vieux satire. Mais pourquoi ce désir de rembobiner cet instant, renouer le fil d’une histoire avortée par la convention des gestes et le prix du temps, le théâtre intangible du commerce. Peut-être vouloir lui dire qu’elle vendait aussi du rêve dans ses boîtes de semences, que sa gentillesse jardinière pouvait faire pousser de la joie. Sans oser le « T’as d’beaux petits pois tu sais… » Je pourrais peut-être lui dire : « Vos beaux petits pois d’amour me font, belle demoiselle, mourir » ou bien « mourir vos beaux petits pois, belle demoiselle, d’amour me font. »