mardi 2 avril 2013

La fille aux petits pois





Ce matin son sourire m’est revenu qui remonte joliment ses pommettes, en gracieux arrondi ensoleillant le teint. Puis le pétillement de l’iris sur l’étoilement de l’émail. Un instant s’est allumé tout son visage. L’expression de sa gaieté amusée. Malgré sa tenue maison, genre saharienne gazon, boursouflée de poches, liseré rouge Gamm vert sur la poitrine, elle est plutôt jolie. Son prénom, lui, n’est pas brodé. Karine, je l’ai entendu interpellée par un collègue « Karine tu montreras au Monsieur ». J’ai regardé le monsieur en m’interrogeant sur la chute de la phrase. Que devait-elle lui montrer ? Ce genre d’invite suspendue qui déplace les idées. Elle est donc assez jolie pour qu’on choisisse plutôt sa caisse quitte à flâner un peu sans raison au rayon voisin.
J’avais pris une boîte de fèves Aquadulce et une de petit pois Téléphone à rames. J’avais longuement hésité devant le large éventail des semences. J’avais fini par choisir ces grains ridés parce que plus sucrés et plus résistants à la chaleur que les grains ronds selon le dos de l’emballage. Et surtout parce que je me souvenais que déjà mon père les semait. Ainsi j’avais le sentiment de continuer les lignes filiales et de remuer dans ces micros billes un peu du tendre de mon enfance. Grains ridés, effet du temps alors ? Téléphone à rames, téléphone arabe, téléphone qui rame, détachée l’appellation ne manque pas d’humour renvoyant à la bakélite noire avec son cadran et à la voix médiatrice de la préposée. Peut-être pour son obtenteur et inventeur, la vision des gousses pendant au bout de leurs fils tortillés comme des minis combinés.
La fine main m’avait conduit à glisser ma carte moi-même dans le lecteur, dans d’autres endroits on vous la prend des mains. Est-ce genre d’incertitude qui plonge le français moyen dans la morosité contagieuse ? « Vous pouvez composer votre code ». Fréquence ouatée de l’Intonation ? J’ai eu le sentiment d’un rappel mais gentil à la réalité. Avais-je à ce point desserré le temps ? J’ai levé les yeux pour tomber sur le sourire des siens et le semis éclatant de ses dents. Visiblement désolée d’être dans le rôle de l’ange vous ramenant sur terre. Juste son « c’est rien » très doux derrière mon « excusez-moi » désarmant toute dérive, je suis parti avec les grains de sa peau et le bruit des mes petits pois dans leur boîte.
Etes-vous libre ce soir ? M’accompagneriez-vous prendre un pot ? Sans doute la jeunesse actuelle avait dû remiser ces vieux poncifs d’approche. Au moins de l’âge de son père, je passerai fatalement pour un vieux satire. Mais pourquoi ce désir de rembobiner cet instant, renouer le fil d’une histoire avortée par la convention des gestes et le prix du temps, le théâtre intangible du commerce. Peut-être vouloir lui dire qu’elle vendait aussi du rêve dans ses boîtes de semences, que sa gentillesse jardinière pouvait faire pousser de la joie. Sans oser le « T’as d’beaux petits pois tu sais… » Je pourrais peut-être lui dire : « Vos beaux petits pois d’amour me font, belle demoiselle, mourir » ou bien « mourir vos beaux petits pois, belle demoiselle, d’amour me font. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ?