vendredi 19 avril 2013

La fille à la trottinette



Après des jours et des jours de tisons et de lampes, on se cramponne à la moindre hirondelle et on finit par prendre pour lanterne la prophétie réitérée d’un retournement des hordes glaciales. Et ce samedi soir on se couche sur le petit lait printanier bu aux lèvres de la miss météo. Alors quand au réveil dominical le ciel semble à la hauteur, on sort méfiant toucher ce bleu à peine sec. Et le poil d’air doux qui nous frise l’échine nous file une telle gaieté que nous éprouvons l’envie de claironner ce soleil à tous les draps encore remontés sur les épaules. Malgré notre impatience, soucieux de la quiétude familiale, on attend que chacun émerge et se frotte les yeux à ce fond tout neuf. Plus tard, on enfoncera le clou de cette belle humeur, en annonçant « Cet après-midi on va à la mer ». Seule atmosphère, quand on habite sous sa proche influence, capable de dilater un peu plus ce nouvel état de bonheur.
On a déjeuné un peu plus tôt pour profiter un peu plus tard. A Saint-Vincent-sur Jard on a pris le sentier qui longe l’océan vers Jard-sur-mer. Deux kilomètres entre les œillets maritimes et les euphorbes, dans les effluves iodées, avec dans l’oreille l’oscillation frondeuse des vagues, les phases ombilicales de leur musique, leurs boucles bouillonnantes et leur coda d’écume. Deux kilomètres de chant marin. A l’arrivée au port, on se pose pour siroter en contrebas de la terrasse du Sloop, crêperie bar. Vertèbres à peine relâchées et premiers mots pour dire ce moment, que notre place au soleil est hachée par les ricochets sourds et sauvages d’une kermesse mécanique. Une vingtaine de casqués vrouvroumant dans les basses. Une meute rutilante crachant du pot. Des cuirs se défiant à l’échappement.
Juste au dessus de nous, une fille est attablée. Elle a commandé un panaché. Devant elle un Nikon rouge bagué d’un zoom. Je parie pour un 55-200. Elle le saisit par instants puis le repose, se tourne légèrement puis revient à sa mousse jaunasse. La parade amoureuse des gros cubes la rend visiblement nerveuse. Elle est attirée par le rugissement râpeux des bécanes, fascinée par cette brousse des cylindres. Elle est traversée par ces vibrations de rut. Elle se remet de biais reflex au niveau du menton, zoom bandé vers la turgescence métal. Mais, sans doute intimidée par la rumeur exaspérée des consommateurs voisins furieux de voir leur premier bain de rayons troublé par l’étincelant barouf, elle renonce à immortaliser cette tribu motarde. Qui enfin, dans une ultime exaspération des poignées, finit par déchirer le bitume et quitter la scène.
Je la vois alors se lever, enfouir son Nikon dans un sac à dos, descendre et chevaucher une trottinette...




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