jeudi 14 novembre 2013

J’ai 11 ans / 15 /




Cette absence du frère, cet écart d’âge avec la sœur ont forgé un solitaire, un petit dernier asséché et sensible au moindre souffle. Un écorché qui ronge sa ouate et se raconte encore des histoires en ce début de septembre 60. Un qui fait le Jeanjean dans le rayon des jupes, l’autre le Jean-Pierre dans le jardin du père. Qui remémore, entre deux arrosoirs, la victoire de l’Italien Nancini dans le Tour de France et la huitième place d’Anglade.
Cette année je n’ai pas suivi la Grande Boucle avec lui, reporté le vainqueur de chaque étape sur la carte du journal punaisée derrière la porte de la cuisine. Ce juillet on m’a envoyé à la campagne. Pour mon bien, chez une amie de ma sœur à Bourneau. Quelques âmes au bord du massif forestier de Mervent. Lui travaille à la scierie, cultive, à côté, un grand champ de pommiers longé de quelques ruches. Elle tient la maison et le jardin. Je dois partager le lit du fils destiné, lui aussi, à la découpe des grumes. Un ado brut de sciage qui me force parfois la tête sous le drap.
Heureusement il y a Monique d’un an ma cadette, ma squaw à couettes. Nos poursuites en forêt et nos avancées de sioux le long des rails qui ferrent le talus du jardin. Monique ma captive aux yeux noisette, ma prisonnière du dessert. Martine des quatre-heures coco et Suchard. Qui un après-midi écarte dames et nain jaune, s’étend sur le dos. Pions qui roulent, petits chevaux qui se renversent dans ma tête. À cet instant me monte au ventre une odeur de pomme. Un instant où la fascination qui nous divise va trouver son fléau. Dès lors les à quoi on joue ne seront que questions biaisées, invitations à des adorations primitives, à des liturgies secrètes. Nos jeux cachés des grands, comme de la maman qui dit bijou et jésus sous le gant qui nous savonne, avant la messe, dans la bassine du dimanche, porte de souillarde bien refermée sur l’une puis l’autre. Nos jeux avec un feu plus brûlant que les flammes fourchues de l’enfer qui nous tordent ensuite dans les travées de l’église.
Un juillet en pente douce, donc, grâce à Monique ma petite madeleine modelée dans le coton blanc, que je ne reverrai que trois ans plus tard, fondant en larmes.




1 commentaire:

  1. Jolie évocation du "vert paradis des amours enfantines" cher à Baudelaire...

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