mercredi 17 décembre 2014













Grand-mère




Avait-elle jamais franchi le cul de ses champs, le fond de la bonne herbe communale, le soir bleu de son jardin ? Etait-elle jamais sortie de sa chaux  enfumée, de son sol criblé de becs, des lunes dorées de ses comtoises ? Avait-elle jamais laissé son globe de mariée et le portrait retouché de son défunt à fières moustaches ? Je ne l’ai jamais vue chez nous cette grand-mère dont je cherchais en riant le fils, mon père enfant, dans les sépias du buffet.
J’allais la voir en vélo ou en autobus Saviem cette paysanne maigre et charbonneuse, cette ombre osseuse tisonnant son feu de bouses sèches. J’aimais cette sorcière posant la crème de son sourire sur mes mots curieux. J’aimais cette mémé vieux temps tournant entre ses genoux le moulin à café, étalant sur mes tartines la motte jaune paille. Cette mémé cocottes déposant dans ma main un œuf rouge encore chaud.
La maison natale de maman vendue peu après ma naissance, j’ai dû imaginer la pièce bordant la rue dans laquelle elle avait appris la couture sous le regard sévère de sa mère. La grand-mère maternelle, plus ou moins impotente allait de filles en brus. Tous les semestres, on l’avait, comme disait papa, cette belle mère au fichu caractère qui doublonnait la porte culottes. Elle arrondissait l’angle de la cuisine, près de la seule fenêtre baignant la pierre du timbre.
Maman entourait de mille soins cette aïeule débordante. Lui passait geignements et reproches sempiternels. Tranchait toujours pour elle. Je craignais cette ogresse patoisante qui me pressait contre sa poitrine noire pour me chevroter toujours le même Perrault. J’aimais quand elle partait me perdre dans son large fauteuil, semblable à celui de la Maison jaune, laissé vide par Gauguin. Le fauteuil peint par Van Gogh rouge et vert.



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